Bryan Ferry n'a jamais été aussi actif que ces dernières années. Quelques semaines après son concert au Théâtre St-Denis, il lance son nouvel album, Avonmore, sur lequel il provoque encore des rencontres entre des musiciens d'univers différents. Conversation avec un architecte musical.

Au bout du fil, Bryan Ferry a la voix éraillée, mais il se porte très bien. Il est totalement guéri du rhume tenace qu'il a attrapé dans la nuit suivant son concert au Théâtre St-Denis fin septembre et qui l'a contraint à annuler quelques spectacles aux États-Unis par la suite.

L'élégant chanteur de 69 ans a conservé de bons souvenirs de sa soirée d'anniversaire passée en compagnie de ses fans montréalais qui ne l'avaient pas vu depuis 12 ans. «Quand on a un bon public comme lors de nos deux spectacles au Canada, à Massey Hall [de Toronto] et au Théâtre St-Denis, c'est fantastique», dit-il de New York.

Les deux tiers des chansons du concert montréalais étaient tirées du répertoire de Roxy Music. Ferry a renoué à quelques occasions par le passé avec son ancien groupe qui s'est séparé en 1983, mais il ne faut «probablement pas» s'attendre à d'autres retrouvailles sur scène, dit-il.

Même sans Roxy Music, Bryan Ferry n'a jamais été aussi occupé que ces dernières années. Il a transposé successivement sur scène son hommage à Dylan (Dylanesque), son album Olympia et The Jazz Age, le disque instrumental sur lequel il a fait prendre à ses propres compositions un bain des années folles.

Par les temps qui courent, le dandy britannique se consacre surtout à Avonmore, son nouvel album dont il intègre progressivement les chansons au programme de sa tournée européenne actuelle. Certaines des chansons d'Avonmore portent la signature sonore et rythmique que Ferry a développée depuis le milieu des années 80 avec les albums Boys & Girls et Bête Noire. On reconnaît dans Loop de Li, qu'il a chantée au St-Denis, l'architecte musical qui n'hésite pas à faire jouer une demi-douzaine de guitaristes et chanter autant de choristes sur une même chanson. «C'est un genre un collage, reconnaît Ferry. C'est super quand tous les morceaux s'imbriquent l'un dans l'autre et qu'on provoque des rencontres de musiciens qui, normalement, ne joueraient pas ensemble, comme celle de Nile Rodgers avec Johnny Marr et de jeunes musiciens.»

Des pointures

C'est le même Ferry qui, dans l'album Olympia, avait réuni pour les besoins de la chanson Song To the Siren trois pointures de la guitare: David Gilmour de Pink Floyd, Jonny Greenwood de Radiohead et l'ex-Roxy Music Phil Manzanera. Et qui, cette fois, outre Rodgers et Marr, recrute Mark Knopfler, un collaborateur des années 80, dont la guitare acoustique convient parfaitement à la chanson Lost: «Mark est un guitariste très doué qui peut vous donner la sérénade avec son instrument. C'est un maître de ce style très délicat.»

Quand il écrit une chanson, Ferry a souvent en tête le musicien qui pourrait la jouer: «C'est habituellement quelqu'un dont j'aime le style, comme Nile Rodgers qui confère toujours des grooves intéressants aux chansons. Idéalement, chaque musicien apporte un peu de sa personnalité à la fête et mon travail est de faire le tri, le montage de tous ces éléments et d'en faire un tout.»

Ce genre de travail l'oblige à passer beaucoup de temps en studio, reconnaît Ferry: «J'ai travaillé pendant quelques années, par séquences, sur Avonmore. Ce ne fut pas facile parce que j'ai fait tellement de tournées qui ont ralenti le rythme de mes enregistrements. Pour mon prochain album, je vais essayer de glisser quelques séances d'enregistrement entre les concerts quand je serai de passage à Londres.»

Des voix authentiques

En matière de musique, Bryan Ferry a des goûts très éclectiques qui se reflètent dans les chansons qu'il a empruntées à d'autres au fil des ans. Ses fans qui connaissent son amour de la musique soul/R&B américaine ne s'étonneront pas d'entendre Maceo Parker jouer du saxophone funky et Ronnie Spector citer son propre succès Baby I Love You dans la chanson One Night Stand.

«Ils ont tous les deux une voix particulière, explique Ferry. Évidemment, Maceo est célèbre pour son travail avec James Brown, il occupe une place importante dans l'histoire du R&B et il a un style immédiatement reconnaissable. Quant à Ronnie Spector, elle a fait des disques fantastiques avec les Ronettes, avec son ex-mari [Phil Spector] qui a été un grand réalisateur. C'est super d'entendre la voix authentique de la musique que j'aime dans cette chanson.»

Malgré les apparences, Avonmore, la superbe chanson qui donne son titre à l'album, n'est pas trempée dans la mythologie britannique comme l'était Avalon de Roxy Music. C'est plutôt l'endroit où est situé le studio d'enregistrement de Bryan Ferry dans le quartier londonien de West Kensington.

«C'est la dernière chanson qu'on a bouclée et j'ai peiné vers la fin, raconte Ferry. Mais je suis très content du résultat que j'ai obtenu au cours des derniers jours en studio. Parfois, on s'impose beaucoup de pression pour trouver la note juste, la bonne façon de s'exprimer. Je pense qu'on y est arrivé ici.»

___________________________________________________________________________

POP-ROCK. Bryan Ferry. Avonmore. Sony. Sortie mardi.

Bryan Ferry, Avonmore

Faire siennes les chansons des autres

Depuis 40 ans, Bryan Ferry a chanté Dylan, les Rolling Stones, les Beatles, des chansons traditionnelles, la musique soul, le R&B, et il a souvent puisé dans le vaste répertoire de la grande chanson américaine. Chaque fois, il a fait siennes ces chansons en leur injectant un peu de sa personnalité.

Dans Avonmore, Ferry reprend deux chansons fort différentes: Send In the Clowns, que Stephen Sondheim a composée pour la comédie musicale A Little Night Music en 1973, et Johnny & Mary de son regretté compatriote Robert Palmer, qu'il métamorphose littéralement en ralentissant le rythme.

«Send In the Clowns a été reprise par plusieurs interprètes, rappelle Ferry. Il y a de grandes chansons dans le répertoire des comédies musicales. J'adore ce texte dans lequel il y a un élément de mystère. Quant à Johnny & Mary, j'aime son côté dramatique. C'est un texte très poignant. En la reprenant avec le réalisateur norvégien Todd Terje, on la présente à une nouvelle génération. On l'a jouée dans un festival en Norvège à un auditoire très jeune qui l'a adorée. Ce fut un beau moment. Je n'étais pas certain de l'inclure dans Avonmore, mais elle y a vraiment pris sa place.»

Ferry se dit flatté que deux de ses chansons aient été reprises par des artistes de renom: Love Is the Drug par Grace Jones et If There Is Something par David Bowie avec son groupe Tin Machine.

«La version de Love Is the Drug de Grace Jones est fantastique, elle possède un groove d'enfer, dit-il. Elle l'a enregistrée au studio Compass Point de Nassau avec le réalisateur Alex Sadkin qui a fait un super travail. C'est bien d'entendre une de tes chansons emprunter une nouvelle direction.

- Et Bowie?

- Il aimait beaucoup If There Is Something. C'est drôle parce que c'est également la chanson préférée de Kate Moss. Je l'ai chantée à son mariage.»