Poirier n'est pas que... Poirier. Il n'est pas que ce compositeur, DJ, réalisateur pagayant dans les remous et contre-courants du grand fleuve électro, de la techno minimale au hip-hop abstrait en passant par les manipulations numériques de soca/dancehall. Boundary est l'expression d'un autre Poirier.

«Quand je compose en Poirier, c'est plus pop. C'est efficace. Je cherche une réaction immédiate sur la piste de danse. Boundary est un concept différent», amorce le Montréalais de 38 ans, pour qui les deux identités sont essentielles à sa liberté créatrice: «Je me lasserais d'une seule des deux démarches. Je peux toujours me relancer dans un ou l'autre de ces territoires.»

Sous la bannière Boundary, deux albums ont été créés en autant d'années: un album sans titre en 2013 et Still Life, lancé en septembre dernier.

«La musique de Boundary me vient plus naturellement que celle de Poirier, les musiques électroniques dans lesquelles j'ai baigné plus jeune ressortent davantage dans ce contexte. Des exemples? Planetary Unfolding de Michael Stearns, Fourth World Vol. 1/Possible Musics de Brian Eno&Jon Hassell, les premiers albums de Boards of Canada, ceux d'Aphex Twin, la musique de Steve Reich, etc.»

Avec Boundary, Ghislain Poirier recherche plus de substance compositionnelle sans pour autant perdre l'auditeur dans l'opacité. «Je veux parler autant à ceux qui peuvent compter sur un bagage de musique électronique qu'à ceux qui ne connaissent pas ça. En ce sens, je ne veux pas non plus de musique trop codifiée, trop référentielle.»

Nature morte

Ghislain Poirier se consacre ainsi à des compositions plus horizontales, détachées de la forme chanson. Still Life signifie «nature morte», l'interviewé justifie le titre du récent album: «Apparemment, cette musique bouge peu; on ne peut en avoir une perception claire en n'en écoutant qu'un fragment. De prime abord, c'est la répétition qui l'emporte. J'ai choisi de marcher sur cette fine ligne où quelque chose se passe malgré l'apparence de linéarité. Micro-variations plutôt que macro-variations.»

On en déduit que les micro-variations laissent échapper des... micro-surprises.

«J'ai par exemple essayé d'éviter de marquer les temps forts de la mesure, de manière à ce que l'oreille se déconditionne, explique Poirier. Sans connaître la structure d'une composition ou d'une chanson, chacun sait généralement quand les changements se produisent. J'ai voulu être un peu plus imprévisible.»

Logiciels, échantillons de son traités, claviers analogues, percussions de synthèse sont parmi les outils de Still Life. «L'instrumentation importe peu dans cet album; le concept formel l'emporte sur les moyens techniques permettant de le concrétiser. Dans certains cas, je ne sais même plus comment je m'y suis pris pour y parvenir! De manière générale, j'ai cherché à faire du beau.»

Concentration requise

Sur scène, Ghislain Poirier décline la musique de Boundary avec des musiciens en chair et en os: le batteur et percussionniste Christian Olsen, aussi D.J. féru de musique électronique; Daniel Thouin, musicien de jazz à ses heures, directeur musical de moult artistes pop, initiateur de différentes formations. Les deux musiciens ont collaboré à quelques pistes des deux opus, leur rôle est plus déterminant sur scène.

Pour Ghislain Poirier, la perspective de se produire en temps réel avec des instrumentistes remonte à quelques années:

«J'ai déjà présenté des concerts avec batterie et voix. Puis j'ai repris la formule sound system avec voix en temps réel. Dans le contexte de Boundary, je complète sur scène ce qui a déjà été enregistré. Je fais en sorte que l'on puisse reconnaître les pièces enregistrées, mais un autre travail est fait sur scène. L'objectif n'est donc pas de reproduire fidèlement l'album. J'y propose un cadre défini dans lequel les musiciens peuvent se laisser aller. Cette musique doit prendre de l'expansion.»

Que les (très nombreux) spectateurs en proie au déficit d'attention en soient avisés, Ghislain Poirier prévient que Boundary ne génère pas un bruit de fond pour une soirée de socialisation.

«Il faut se concentrer, écouter. Pour la sortie de l'album Still Life, d'ailleurs, j'ai plongé les gens dans la pénombre de la Satosphère, sans éclairages ni projections. Je leur ai demandé 47 minutes d'attention, sans jouer avec leur téléphone. Nous sommes à une époque où les gens sont peu attentifs, toujours en train de faire trois choses en même temps. Still Life, c'est tout le contraire.»

Au Bleury-Bar à Vinyle demain, 19h30, précédé de Sachary Gray.