Jean-Louis Murat n'a jamais souffert du syndrome de la page blanche. «J'ignore complètement ça, je n'arrive pas à comprendre ce phénomène», répond le chanteur auvergnat au téléphone depuis un magasin parisien où il a rendez-vous avec le public.

Babel, son nouvel album en vente aujourd'hui au Québec, est une bagatelle de 20 chansons, écrites rapidement et enregistrées en 10 jours avec le Delano Orchestra.

Quand France Inter lui a proposé de chanter avec ce groupe très polyvalent de Clermont-Ferrand, Murat s'est dit qu'il vaudrait mieux avoir de nouvelles chansons sous la main. Rien de plus naturel pour l'orfèvre de la chanson française qui a l'habitude de nous livrer un nouvel album tous les ans.

«Je n'ai pas changé de cadence. Je pédale toujours à la même vitesse et je ne me fatigue pas», dit tout bonnement l'artiste de 60 ans qui nourrit toujours des projets de toutes sortes qui s'accommodent mal de la frilosité grandissante des maisons de disques.

N'allez surtout pas lire dans le titre de ce nouvel album une référence biblique au monde un peu bordélique dans lequel nous visons. «J'habite à côté d'un village qui s'appelle Saint-Babel, explique Murat. Au début, je voulais appeler l'album Saint-Babel, finalement ça s'est terminé en Babel, mais il n'y a pas une symbolique particulière derrière tout ça.»

Murat a toujours chanté son coin de pays, qui lui permet de vivre en retrait du jet-set médiatique et artistique français, mais il ne l'a jamais autant fait que dans Babel. Il n'y peint pas pour autant un tableau idyllique de sa région: Neige et pluie au Sancy, Le col de Diane et Noyade au Chambon sont autant de nouvelles noires mises en musique.

«Je parle de l'alcool, de maltraitance des enfants, c'est un peu tout ce que j'ai connu et ce que je connais dans le monde paysan, convient-il. La campagne n'est pas le paradis que peuvent penser les citadins; il y a autant de turpitudes, de problèmes et de choses terribles que ce qui peut se passer en ville.»

La chanson démagogique

Dans une récente interview en France, Murat s'en est pris à la «chanson démagogique» à la Alain Souchon. Il s'explique: «Chez vous c'est la même chose, la chanson populaire aide de plus en plus à faire passer la pilule d'un pouvoir, ou d'une déstructuration, qui ne nous convient pas.»

«Moi, réellement, je me sens investi de cette responsabilité de dire aussi que les choses ne sont pas comme on le pense et que les choses ne vont pas dans le bon sens comme on pense les faire aller. Sans faire d'idéologie.»

Murat se méfie tellement de la chanson démagogique qu'il a décidé de ne pas chanter le premier extrait de ce nouvel album, la très belle J'ai fréquenté la beauté, dans ses concerts actuels. «J'ai toujours un peu procédé comme ça: ce n'est pas moi qui choisis les 45-tours, je laisse choisir les maisons de disques et chaque fois qu'elles me choisissent des 45-tours, je n'ai pas envie de les chanter. Ça ne me paraît jamais être les chansons les plus représentatives de ce que je sais faire. Et je n'ai pas envie de devenir le mec d'une chanson.»

Il ne faut surtout pas y voir un jugement sur la qualité de J'ai fréquenté la beauté dont Murat se doutait bien qu'elle pouvait plaire à un large public: «Je l'ai presque faite sur mesure. Le jour où je l'ai enregistrée avec les musiciens, je leur ai dit: bon on va enregistrer le premier 45-tours», dit-il en pouffant de rire.

Murat est peut-être un écorché, sans doute un rebelle, mais il n'est pas un cynique. Dans Le jour se lève sur Chamablanc, il plonge carrément dans ses souvenirs d'enfance sur fond de reportage en anglais sur une mission spatiale américaine.

«J'arrivais bien dans mon esprit à faire une sorte de lien entre l'extrême modernité des gens dans l'espace et l'extrême rusticité de la vie que les gens pouvaient mener sur Terre, dit-il. Il y a un mélange des deux qui fait un peu nos vies à tous de ces générations-là, où on est obligés de concilier les extrêmes.»

C'est le même homme qui ne s'exclut pas non plus quand, dans Chant soviet, il dénonce le surmoi totalitaire en chacun de nous ni quand, dans Les ronces, il chante «voilà le grand poison, tout est mélancolie».

«C'est sûrement l'accumulation de chansons sur le pays et sur l'enfance, explique-t-il. L'écueil principal, c'est une vision nostalgique et mélancolique. Je me refuse de penser en quoi que ce soit que c'était mieux avant. On le voit tout de suite en Syrie ou en Irak: dès qu'on a la nostalgie ou la mélancolie d'un autre état des choses, c'est extrêmement dangereux pour la vie individuelle mais ça l'est aussi pour la vie des peuples. La nostalgie et la mélancolie, voilà, c'est un poison.»

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CHANSON. Jean-Louis Murat, Babel. Pias/Sélect.

Jean-Louis Murat, Babel