La dame, comme elle le dit, ne fait pas dans le copier-coller. Elle intègre complètement ses influences musicales, tant comme compositrice que comme chanteuse, pour déboucher sur un genre nouveau qu'elle qualifie elle-même d'«hybride».

Ainsi Kiran Ahluwalia a-t-elle marié groove indien, blues saharien et jazz occidental sur son sixième album, Sanata: Stillness, une ode au «pouvoir de l'immobilité» (sortie le 14 octobre). Mais ça déménage, comme on le verra ce soir à la Sala Rossa, tout premier arrêt d'une tournée qui la mènera à Québec demain, puis vendredi à Toronto, où cette Indienne d'origine a passé son adolescence.

«Le grand défi de ma musique, dira Mme Ahluwalia, attrapée hier avant son vol Pearson-Trudeau, est de l'expliquer aux gens dans un party. Quand je leur parle du mélange des rythmes touareg avec la musique indienne traditionnelle, ils n'ont pas d'image auditive à laquelle se référer...»

Sortir du cadre traditionnel

Quand elle a décidé qu'elle ne serait pas courtière en valeurs mobilières, dans les années 90, Kiran Ahluwalia - Kiran est un prénom «neutre» comme Claude ou Dominique en français - est retournée en Inde où, pendant 10 ans, elle a étudié la musique classique de son pays, le folklore punjabi et le ghazal, ces chants d'amour (d'une femme) à la structure immuable. Le qawali aussi, chants de dévotion du soufisme, courant ésotérique de la tradition islamique. Ferrée en trad, comme on dit. Profondément...

Mais quand les cadres de la tradition se sont avérés trop étroits, elle a commencé à écrire ses propres textes, sur ses propres musiques. «Mes deux premiers albums étaient très traditionnels», dira l'auteure-compositrice qui a remporté le premier de ses deux Juno du meilleur album Musique du monde avec son deuxième CD, Beyond Boundaries, en 2003.

«À mon quatrième [album], j'avais déjà un violoneux du Cap-Breton. Après, dans mes compositions, j'ai toujours laissé de la place aux autres musiques...»

Kiran Ahluwalia s'est produite cinq fois à Montréal depuis 2004, toujours dans le cadre du Festival de jazz; la dernière fois, c'était en 2012, avec Harry Manx à la Maison symphonique, une grande soirée. «Un spectacle complètement différent du mien. C'était la musique de Harry et j'étais contente de faire partie de ce groupe [avec le percussionniste allemand Yeshe et l'organiste australien Clayton Doley]. J'aime écouter la musique des autres. Pour élargir mes horizons...»

Big town girl

Ce soir-là, Kiran A. avait chanté pour la première fois une chanson qu'elle venait de composer, Hayat, où, dit-elle, la langue marque le lien d'appartenance d'une Indienne qui a grandi au Canada et qui habite maintenant New York. Avec son mari pakistanais, le guitariste Rez Abbasi, arrangeur et réalisateur de l'album, qui dirigera le quatuor ce soir à la Sala Rossa.

«Delhi, Toronto, New York: cela fait pas mal de vous une big town girl. Comment cela influence-t-il votre musique?

- Les grandes villes donnent accès à toutes sortes de musiques. Elles présentent aussi une grande concentration d'artistes, et pas juste des musiciens: des écrivains, des danseurs, des gens de théâtre qui sont désormais en dialogue constant, duquel émergent toutes sortes de créations hybrides.»

Et Kiran Ahluwalia est tout à fait chez elle dans ce monde sans frontières.

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À la Sala Rossa ce soir, 19h30.