Il était une fois un auteur-compositeur-interprète immensément populaire qui s'est retiré de la vie publique après s'être converti à l'islam. Dans sa seule interview canadienne, Yusuf Islam, alias Cat Stevens, explique aujourd'hui pourquoi il a renoué avec la chanson populaire 30 ans après avoir tout abandonné.

La nouvelle est tombée en début de semaine dernière: Yusuf/Cat Stevens lancera le 28 octobre un troisième album pop depuis 2006, Tell 'Em I'm Gone, et, après une virée européenne, il remontera sur des scènes nord-américaines pour la première fois depuis 1976.

Tous les billets pour le premier concert nord-américain, à Toronto le 1er décembre, se sont envolés dès leur mise en vente. Le producteur evenko a tenté sans succès d'amener Yusuf/Cat à Montréal, mais il n'est pas impossible qu'il vienne nous voir si jamais il décidait de poursuivre cette tournée en 2015.

«Si je viens à Montréal, je vais essayer d'éviter l'hiver, répond au téléphone l'artiste, qui a déjà travaillé au studio d'André Perry à Morin-Heights. C'était un beau studio avec une vue imprenable sur des montagnes enneigées. C'était magique. C'est là que j'ai enregistré Numbers; j'y ai également mixé mon dernier album, Back To Earth. C'est l'une des premières fois que j'ai vu une aurore boréale, un moment incroyable.»

Il fait nuit à Dubaï quand Yusuf Islam nous accorde cette interview de 15 minutes. Il revient sur les circonstances qui l'ont incité à se retirer de la vie publique en 1978, au moment où il lançait Back To Earth, un an après s'être converti à l'islam. Il ne se souvient plus exactement du dernier concert pop qu'il a donné. «Je sais que nous étions en Europe et que j'ai annulé un concert à Athènes», dit en riant celui qui, à la naissance, se nommait Steven Demetre Georgiou, le nom de famille de son père grec.

Pendant sa «retraite», il a enregistré quelques albums religieux, mais quand son nom se retrouvait dans les journaux, c'était la plupart du temps en raison d'une controverse. Dans les années 80, on a écrit qu'il avait approuvé la fatwa lancée par l'ayatollah Khomeiny contre l'auteur Salman Rushdie, ce dont il s'est défendu de façon malhabile. Étonnant tout de même de la part de l'auteur de Peace Train, qui allait par la suite remporter plusieurs prix pour son engagement en faveur de la paix.

Contre toute attente, il a lancé son premier album pop en 30 ans, An Other Cup, en 2006, suivi de Roadsinger trois ans plus tard. Depuis, il a renoué avec la scène en Europe, en Océanie et même en Amérique du Sud.

«La plupart de mes chansons posaient des questions et je cherchais des réponses, dit-il à propos de sa décision de tout laisser tomber. Quand j'ai trouvé ma maison spirituelle, ce fut tout naturel pour moi de descendre du train et d'aller me promener aux alentours. Il fallait que je prenne cette pause, qui m'a permis de fonder une famille et de m'occuper d'éducation et d'un tas d'autres choses que je n'aurais pas eu le temps de faire si j'étais resté dans le show-business.»

S'il est revenu à la chanson, c'est parce que ses cinq enfants étaient élevés, dit-il en riant. Puis il ajoute: «Je m'étais débarrassé de tous mes instruments de musique, et c'est mon fils [Muhammad Islam, devenu depuis son agent] qui a ramené une guitare à la maison. Quand j'ai recommencé à jouer de la guitare, j'ai senti une toute nouvelle brise d'inspiration que j'avais le goût de partager.»

Ce n'est pas tellement qu'il rejetait les chansons écrites dans une autre vie et qui constituent l'essentiel du programme de ses concerts depuis son retour. «Il fallait que je passe par-dessus mon zèle qui m'a fait tout balancer et que j'en arrive à voir les choses dans une autre perspective. Quoique ma femme ne me permettrait plus de jouer Lady d'Arbanville...», dit-il à propos de la chanson qu'il a composée pour l'actrice américaine Patti D'Arbanville, qui a été sa compagne à la fin des années 60.

Tell 'Em I'm Gone étonnera sans doute ceux qui ont encore en tête le Cat Stevens fleur bleue qui chantait Morning Has Broken et dont les pochettes de disques semblaient faites sur mesure pour un livre de contes pour enfants.

Yusuf/Cat y aborde principalement des sujets sociaux et politiques dans cinq chansons de son cru et autant de reprises. «Quand je me suis joint à la révolution musicale qui était en marche, nous voulions changer le monde en profondeur, explique-t-il. Toutefois, la technologie et l'économie ont rattrapé le mouvement qui a commencé à verser dans le consumérisme. Il y a beaucoup de gens au chômage, et quand je pense au mouvement anti-Wall Street, je me dis qu'il y a de bonnes raisons d'être en colère. Il faut encourager les gens à penser différemment et à faire quelque chose de nouveau.»

L'affaire Salman Rushdie

Cet album que Yusuf a enregistré avec le réalisateur Rick Rubin, qu'il a mixé avec l'ex-Yardbirds Paul Samwell-Smith et sur lequel on peut entendre aussi bien Richard Thompson et Charlie Musselwhite que Bonnie Prince Billy et le groupe Tinariwen, compte deux chansons qui ressortent vraiment du lot: I Was Born in Babylon, qui pourfend les faux leaders politiques ou religieux et les empires, et surtout l'autobiographique Editing Floor Blues, dans laquelle il dit vouloir se débarrasser de toutes sortes de fausses perceptions qui le suivent. Il y est notamment question d'un conflit avec la presse qui n'aurait pas rapporté sa version des faits et qui l'a incité à se murer dans le silence - une allusion directe à la controverse Salman Rushdie.

D'un naturel décontracté, Yusuf Islam se fait tout à coup plus prudent: «Mes chansons me donnent la possibilité de dire ce que je veux sans aucune intervention de la part de ceux qui montrent les gens du doigt, confortablement assis sur leur nuage blanc. C'est ma façon de leur rendre la monnaie de leur pièce.

- Vingt-cinq ans après l'affaire Salman Rushdie, sentez-vous encore le besoin de vous expliquer?

- Je viens tout juste de lancer un livre au Moyen-Orient dans lequel je dois également expliquer à une bonne partie du monde musulman pourquoi j'ai repris ma guitare. Dans le grand voyage de la vie, tu commets parfois des erreurs que tu essaies de réparer, et puis tu passes à autre chose. Malheureusement, certains journalistes ne sont pas vraiment passés à autre chose, et j'aborde quelques-unes de ces questions qu'on aurait dû enterrer il y a longtemps.»