Barbe hirsute, tuque grise malgré l'humidité oppressante et lunettes accrochées à son t-shirt coloré: Dany Placard a la dégaine et le flegme des rockeurs qui n'ont plus rien à prouver. Le déclic? Possiblement Démon vert, lancé en 2012, dont le succès s'est étendu au-delà des blogues et des disquaires indépendants.

Assis dans un coin du Arts Café, dans le Mile End, le chanteur saguenéen a rapporté de son week-end récent à Rouyn-Noranda les vibrations d'un Cabaret de la dernière chance plein à craquer. Son apparente sérénité n'est sans doute pas étrangère à la réception positive que le public a réservée à ses nouvelles pièces, présentées dans le cadre du Festival de musique émergente et immortalisées sur Santa Maria.

Le changement de cap - plus grand public - et de label - d'Indica à Simone Records - porte ses fruits: pas étonnant que Placard ait conservé le même territoire mélodique, la même équipe de musiciens et cette même poésie qui exècre les détours.

Mais ici, la pochette se colore de noir, le folk dépouillé s'habille de batteries invitantes et de refrains pop et les thèmes intimes se fardent d'ironie et de légèreté. Le volcan bouillonne autant, mais l'environnement est moins aride.

«C'est un album que j'ai fait avant tout pour l'équipe, pour les musiciens, pour la scène», dit-il.

Si les pièces de ses albums sont habituellement cousues d'un fil d'Ariane solide - la route, les femmes, la famille -, l'auteur s'est offert cette fois-ci plus de liberté dans les thèmes, misant avant tout sur des «pièces rythmées». «J'ai voulu composer des tounes avec plus de "hook": à peu près toutes les chansons ont des refrains», poursuit-il.

Dans le «truck»

Calepin à gauche, guitare à droite, la plus grande partie du disque a été écrite en 10 mois dans le «truck» de tournée de Démon vert. Le band pouvait ainsi livrer ses impressions, améliorant les textes et les arrangements sur-le-champ.

Il y a matière à se secouer le bassin et à se dilater la rate au gré de Chanson populaire, tube chargé d'humour, de Confucius, habilement absurde ou encore de Hot-Dog Michigan, constat tragico-comique. Placard réussit à être drôle sans badiner.

La batterie et la voix s'imposent, tandis que les guitares électriques sont reléguées au second plan. «J'écoutais du Bob Dylan pendant la création; sur Démon vert, c'était plus du Neil Young», dit Placard pour expliquer la baisse de régime, volontaire, des cordes de Guillaume Bourque, qui a aussi mis à contribution sa plume et sa voix.

Brasser la cage

Placard, qui a l'habitude d'être son seul directeur - «J'ai une estie de grande gueule» -, s'est doté pour la première fois d'un coréalisateur, son ex-collègue de Plywood 3/4 Éric Villeneuve, à qui l'ont doit notamment les deux bombes bluegrass de Bernard Adamus. «C'était la première fois que mon pacing se décidait en studio, et pas après que tout soit fini», observe Dany Placard.

L'enregistrement de Santa Maria s'est déroulé pendant quelque 10 jours au Wild Studio, à Saint-Zénon, dans Lanaudière. «Avant de partir, j'ai dit à ma blonde: «Je pense qu'à soir chérie, il faut qu'on fasse l'amour», raconte Placard. Elle m'a demandé si c'est une phrase que j'avais écrite. Je lui ai répondu: «Non, mais je pense qui va falloir que je le fasse...»»

Au chalet, à partir de cette seule ligne, Dany Placard a entrepris d'écrire une nouvelle chanson d'amour et d'«ennuyance». Éric Villeneuve a, pour de nobles motifs, menacé l'auteur-compositeur: tant que la pièce n'était pas bouclée, exit la série Canadien-Bruins, qui battait son plein à un clic de télécommande. Dénouement heureux: Dix jours se trouve sur la rondelle et Dany Placard a finalement pu voir le CH imposer son rythme.

Dix jours n'est pas la seule bribe autobiographique. Autre première: sur deux pièces, Placard révèle son vrai nom, Gauthier, auquel se joint un pote générique qui répond au nom de Tremblay. «J'étais rendu là», dit-il simplement.

Sainte Vierge

Et Santa Maria, dans tout ça? Le nom de l'album a fait irruption du cratère que sa blonde avait dessiné pour la pochette de l'album. «Je cherchais un nom de volcan, mais la plupart ont des noms weird, et Guillaume m'est arrivé avec cette idée-là.» Il s'agit donc d'une référence géologique - aux volcans argentin et guatémaltèque - plutôt que religieuse, quoique la pièce-titre évoque la Sainte Vierge.

«J'ai plus une maudite cenne, j'trouve mes tounes quétaines. Ça fait une semaine que je prie, t'es jamais là Marie.» Cela dit, Placard croit que les gens pieux devraient arrêter de quémander à l'au-delà des chars et bébelles, et recentrer leurs demandes.

La sienne? Un EP qui mettrait à contribution de jeunes chanteurs atikamekws, peuple qu'il a côtoyé en tant que directeur de studio du projet Manawan. L'initiative consistait à jumeler, le temps d'une chanson, des artistes de la nation amérindienne et des interprètes établis.

Maintenant qu'il vit de sa musique, Placard a le luxe de choisir et de redonner. Le volcan est actif, et la lave n'a pas fini de couler.