Aurora, 10e album du compositeur et réalisateur australien Ben Frost, sera la matière incandescente d'un concert présenté avec percussionnistes. On peut d'ores et déjà situer cet opus (sous étiquette Mute) parmi les plus denses et les plus réussis de la grande famille électronique cette année.

La profondeur de ses propositions musicales mène à croire que Ben Frost dépasse toute notion de catégorie, même si elles sont associées à la création numérique. Encore jeune, son oeuvre s'inscrit parmi les must de la musique d'aujourd'hui, point à la ligne.

D'où cette conversation avec le musicien, qui s'amène jeudi au festival EM15.

«Mes musiciens (deux percussionnistes, un sonorisateur) et moi jouerons la matière d'Aurora. Je ne vois pas pourquoi je regarderais derrière», dit Ben Frost, joint dimanche à l'aéroport d'Amsterdam, où il était en transit entre Zagreb et Reykjavik, où il réside, avant de s'envoler vers Montréal le lendemain.

Pour son concepteur, les compositions d'Aurora représentent un tournant:

«Ce 10e album rompt avec plusieurs patterns qui ont fini par me peser avec le temps. Ce fut un processus à la fois de démolition et de reconstruction. La tâche la plus difficile a été de dégager de nouveaux traits de ma musique, aussi crus pouvaient-ils se présenter d'entrée de jeu. Ainsi, j'ai dû faire des choses toutes simples: éliminer de mon langage les pistes vocales qui caractérisaient mes productions antérieures, évacuer les évocations (virtuelles) des bois dans mes arrangements, etc. Je ne crois pas que cette démarche soit révolutionnaire, mais l'engagement ferme à refuser mes propres clichés me permet de me redéfinir.»

Et d'autre part...

«Sans prétendre à l'invention d'un nouveau langage, j'ai fait confiance à mon instinct en ce sens. Ce n'était pas un acte conscient de singularité, l'inconscient a fait son travail! La manière dont cette musique est sortie de moi et s'est conclue ne résulte pas d'un plan soigneusement préparé.»

Ben Frost observe ainsi deux processus parallèles dans la gestation d'Aurora.

«Il y a d'une part cet effort conscient d'éviter les pièges de mon propre langage, d'en éviter la complaisance. À ce titre, j'essaie même de me projeter dans l'avenir, c'est-à-dire d'imaginer dès aujourd'hui des musiques qui trouveront leur forme définitive dans une vingtaine d'années. D'autre part, il y a ce désir de laisser sortir la meilleure musique de moi-même, d'en catalyser les plus forts courants d'énergie sans qu'il faille forcer les choses.»

Aurora offre du gros son, du son puissant, parfois monumental. Le principal intéressé en convient et résume la démarche:

«Je suis toujours porté à m'opposer aux processus normaux de la création musicale. L'usage des technologies dans ce nouvel album secoue violemment les sons naturels, les sons convenus de l'écriture orchestrale ou encore le pouvoir hypnotique du rythme en musique.»

Secousses de synthèse, fait-il observer:

«Vous savez, Aurora été créé dans un espace complètement virtuel. Paradoxalement, mon ordinateur était branché à un générateur au diesel, car je me trouvais au Congo dans une zone éloignée des grands centres afin d'y récolter les sons utiles à la trame d'un film documentaire. Ce monde extérieur était parfois brutal, étrange contraste avec mon monde musical, micro-environnement issu d'une autre réalité. Nous vivons à une époque où ces mondes cohabitent.»

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Ben Frost et ses musiciens se produisent au MAC, jeudi, à 22h dans le cadre de Nocturne2 du festival EM15.