Au coeur du cinquième album de Jeanne Cherhal, Histoire de J., se trouvent deux chansons: Noxolo, qui raconte le viol et l'assassinat de la Sud-Africaine Noxolo Nogwaza, lesbienne avouée, et Quand c'est non c'est non, sur le viol au quotidien, «d'une banalité affligeante» reconnaît Cherhal, et qui commence ainsi: «Il était une fois ou mille, un homme comme toi, un homme tranquille...»

«C'est vrai que ces deux chansons, j'avais vraiment envie de les jumeler dans l'album, raconte la chanteuse de 36 ans au téléphone. Quand j'en étais au stade des petites maquettes, elles étaient déjà liées dans une même énergie, dans une même colère.»

Le crime d'une haine sans nom commis le 24 avril 2011 sur la personne de cette Sud-Africaine de 24 ans, Jeanne Cherhal l'a appris en lisant l'hebdomadaire Marianne. Trois ans plus tard, personne n'en a été accusé.

«J'ai été scandalisée, dit l'artiste française. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut être homophobe, en quoi la sexualité d'autrui peut déranger quelqu'un. J'avais envie de lui rendre hommage, de parler d'elle comme d'une femme d'à côté, une voisine, et en même temps comme d'une martyre.»

Pour Quand c'est non c'est non, Jeanne Cherhal a recruté ses copines du groupe Les Françoises - Emily Loizeau, Olivia Ruiz, Camille, Rosemary Standley et La Grande Sophie - réunies exceptionnellement pour un concert au Printemps de Bourges en 2010.

«J'avais envie de la projeter de manière collective, d'avoir des voix de femmes», dit-elle de cette chanson qu'elle a mis trois mois à enregistrer à cause de l'emploi du temps chargé de ces dames.

Elle ajoute: «Comme on se connaissait bien toutes les six, je me suis dit: «c'est Les Françoises qu'il faut appeler.» Elles ont toutes dit oui, elles ont toutes été touchées par le propos. Ça pourrait presque être un slogan pour des manifestations féministes. Au moment de l'affaire DSK, en France, je ne sais pas si c'est précisément ce qui était dit, mais c'était l'idée, en tout cas.»

En appui aux Pussy Riot

Les chansons d'Histoire de J. parlent d'amour sur tous les tons: l'espoir, la fatalité, la peine...

Jeanne Cherhal y chante également son coin de pays (Finistère) qu'il lui faut obligatoirement retrouver quand elle se sent étouffer à Paris. Mais ce n'est pas un hasard si le disque se termine sur une autre chanson d'affirmation, Femme debout, que la chanteuse verrait très bien conclure le concert qu'elle répète en ce moment.

«Cette chanson-là, c'est une sorte d'hommage à la force féminine dans les épreuves, reconnaît-elle. C'est une chanson sur une femme proche de moi, mais ça pourrait s'adresser à pas mal de femmes courageuses.»

C'est la même Jeanne Cherhal qui, en 2012, a mis sur YouTube une chanson écrite «de manière épidermique» en appui aux Pussy Riot russes. Elle n'a pas enregistré Tant qu'il y aura des Pussy et elle ne l'a chantée qu'une fois sur scène dans un concert pour Amnistie internationale. «C'était vraiment dans l'instant, et hop! ça s'est retrouvé sur internet. En plus, ce genre de chanson est souvent 10 fois plus vu que mes clips officiels», souligne-t-elle en riant.

Le déclencheur: Véronique Sanson

Le déclencheur de l'album aura été Véronique Sanson, ou plutôt son tout premier album, Amoureuse, que Jeanne Cherhal a repris le temps d'un spectacle le 21 mars 2012, 40 ans jour pour jour après sa sortie. Un concert qu'elle a préparé pendant six mois et pour lequel elle a monté le groupe au son «très seventies» qui s'entend sur Histoire de J. et qui, pour la première fois, sera le même qui l'accompagnera en tournée.

«Quand on se met dans les habitudes pianistiques de quelqu'un de manière aussi profonde, il en ressort forcément quelque chose, explique-t-elle à propos de l'impact du concert Amoureuse. J'ai expérimenté des arpèges que je ne jouais jamais, des grosses basses à la main gauche que je n'avais jamais testées... Une fois que j'ai eu tout ça dans les doigts, j'ai eu envie de m'en servir pour mes propres compositions.»

Jeanne Cherhal est une habituée du Québec depuis qu'on l'a vue au Festival de la chanson de Granby en même temps que Pierre Lapointe, en 2001. En janvier dernier, elle était de passage à Montréal pour une «sieste acoustique», au Centre Phi, où elle a fait plus ample connaissance avec Catherine Major - «une super rencontre» -, et il y a fort à parier qu'on la reverra aux FrancoFolies en juin: «La date n'est pas arrêtée, mais c'est dans les tuyaux, comme on dit.»

En plus du concert autour d'Histoire de J., pourquoi ne pas reprendre à Montréal celui en hommage à Véronique Sanson ou - on peut bien rêver - réunir Les Françoises? «Ah, mais j'adorerais! Il faut le suggérer à Laurent Saulnier.»

Une femme inspirante selon Jeanne Cherhal : Florence Aubenas

«Je pense tous les jours à la journaliste Florence Aubenas, prise en otage en Irak en 2005. Elle a couvert avec talent l'affaire d'Outreau, un procès lié à la pédophilie. Et elle a écrit un bouquin (Le quai de Ouistreham) après s'être fait passer pour une femme qui va de petit boulot en petit boulot. Elle m'inspire par sa force et son absence de crainte.»

_________________________________________________________________________________

CHANSON. Jeanne Cherhal. Histoire de J. Universal. En magasin mardi.