Les chansons de l'innocence retrouvée, titre d'un nouvel opus signé Étienne Daho, n'ont strictement rien à voir avec le jeunisme, le jouvencellisme ou le peterpanisme.

«Retrouver l'innocence, ce n'est pas retrouver la jeunesse. C'est plutôt redevenir soi-même», stipule le chanteur de 57 ans, joint en France il y a quelques jours.

«C'est se débarrasser des peurs que les autres nous transmettent. De ces projections dans la vie privée ou professionnelle que les autres ont sur nous. C'est se défaire de ce qui empêche le développement harmonieux de la vie affective. De ce qui vous met des plombs aux pieds. Et des plombs aux pieds, j'en ai eu comme tout le monde.»

Ainsi, cet album dépeint des trajectoires tourmentées à travers une dizaine de textes d'Étienne Daho et un autre de Dominique A. L'homme qui marche... Les torrents défendus... La peau dure... Un bonheur dangereux... En surface... Et cela se conclut par Les chansons de l'innocence, effectivement débarrassées de nombreux irritants.

«Ce titre, indique son concepteur, s'inspire d'un recueil de poèmes de William Blake (Songs of Innocence) que je lisais lorsque j'étais adolescent et que j'ai retrouvé dans un appartement à Londres. L'album devait être disco et noir au départ, il est resté noir, mais pas trop disco. Il m'a semblé alors évident que le titre choisi était approprié.»

Fasciné par la vie

Après le Condamné à mort, référence au texte de Jean Genet, lu par Jeanne Moreau, mis en musique par Daho (et présenté à Montréal en juin 2011), voilà aujourd'hui le condamné à vie. «Exactement!», s'exclame le chanteur lorsque cette opposition lui est soumise.

«Pendant l'enregistrement de cet album, j'ai eu la sensation d'être parfaitement bien pour la première fois dans ma vie d'adulte, c'est-à-dire en totale adhésion avec mon travail et ma vie personnelle. Je suis fasciné par la vie, en fait. Que je meure n'est pas une option! [rires]»

Quoique... notre homme ait récemment survécu à une péritonite: «L'album était fini lorsque j'ai failli crever. Comme quoi rien n'arrive par hasard.»

Soigner son âme

Passons à la musique. Faste musique, force est d'observer à l'écoute de cet album. Jean-Louis Piérot l'a coréalisé avec Daho et en a composé la majorité des musiques. Ce dernier avait naguère fondé le groupe Les Valentins avec Édith Fambuena, le tandem fut associé à plusieurs projets du chanteur-vedette. Il indique en outre n'avoir jamais travaillé seul avec Piérot.

«Je l'avais fait avec Édith Fambuena. J'avais travaillé avec elle seule ou avec les deux ensemble. Or, en repensant à ce que j'avais déjà fait avec eux, mes chansons créées en la présence de Jean-Louis étaient parmi mes préférées. Je l'ai rappelé, il est venu chez moi, nous avons décidé de faire des séances de travail, question de voir comment nous pourrions travailler ensemble. Tout de suite, on a eu l'envie mutuelle de s'étonner. Nous avons créé L'homme qui marche, ma préférée de l'album, et Un nouveau printemps. Nous avions déjà capturé un climat, une direction, une intensité.»

Étienne Daho n'hésite donc pas à parler de complémentarité.

«Par exemple, j'écoute beaucoup de vieille soul. J'adore O.V. Wright, Willie Mitchell, Ann Peebles, Al Green... J'adore cette puissance, ce côté rêche, cette grande affectivité. Je soigne mon âme! Cette musique m'a ouvert à des sons immenses.

«Pour sa part, Jean-Louis a apporté davantage le côté pop et le côté symphonique. On a mélangé tout ça. Dans le shaker, on a un album qui groove, mais en même temps très empreint de chanson française et de littérature. Ce qui n'exclut pas la légèreté.»

De vrais musiciens

Pas moins de 47 musiciens ont enregistré Les chansons de l'innocence retrouvée, dont le guitariste Nile Rodgers et la chanteuse Debbie Harry.

«Jean-Louis et moi avons écrit les arrangements de cordes, nous avons trouvé ensuite une directrice d'orchestre, Sally Herbert, qui a très bien compris nos intentions.

«Ce dont on rêvait, ce sur quoi on avait travaillé pendant des mois avec des ordinateurs et des sons frelatés, nous a semblé renversant lorsque de vrais musiciens ont commencé à jouer. J'en pense autant de la batterie et de la basse, Ian Thomas et Pino Palladino. Des tueurs! Sans blague, des musiciens d'une très grande générosité.»

Quant à la photo principale de l'album où Daho pose avec une nymphe aux seins nus, le célébrissime androgyne ne se fait pas prier pour en expliquer les tenants et aboutissants.

«J'étais en repérage avec le photographe Richard Dumas, relate-t-il. Dans l'hôtel où nous étions, il y avait cette jeune femme qui faisait cette séance pour un magazine de charme, photos de nu artistique associées à des textes un peu intellos. Richard lui a alors demandé de poser avec moi. Quand j'ai vu le résultat après avoir oublié cette séance, je fus complètement saisi.

«À mes côtés, cette fille apparaît comme une espèce de Joconde ou une Vénus de Botticelli... nudité assumée, mais pas provocante. Elle a quelque chose de fracturé et d'altier en même temps; ainsi, elle peut évoquer tous les personnages de cet album, traversés par un destin compliqué. La souffrance est un parcours initiatique pour parvenir à cette libération. C'est l'histoire d'un peu tout le monde.»