Dix ans après son départ de La Bottine souriante, Yves Lambert s'est recentré. Il est à la tête d'un trio épuré, qui tourne le dos au tape-à-l'oeil pour renouer avec l'essence de la musique traditionnelle.

Revenons un peu en arrière. En 1998, alors que La Bottine souriante a encore le vent dans les voiles, Yves Lambert saute la clôture pour la première fois et concocte un disque en étroite collaboration avec la pianiste Sylvie Genest. L'homme à la moustache et au chapeau noir le coiffe d'un titre évocateur: Les vacances de monsieur Lambert.

Près de 15 ans plus tard, Yves Lambert a quitté le célèbre collectif trad. Sa carrière solo n'a plus rien à voir avec des vacances, c'est son boulot et son laboratoire. Son grand bonheur, constate-t-on, lorsqu'on se retrouve devant le jovial accordéoniste à la voix tonitruante.

«J'aime encore ça!», lance-t-il. «Ça», c'est jouer de l'accordéon, fouiller la mémoire collective, jouer les «maîtres de fête» et voir les gens se métamorphoser sous ses yeux en concert. «Quand ils repartent, tu le vois, ils sont nourris, ils sont contents. Ostie que ça va bien!» lance-t-il, content de lui-même, mais surtout heureux de constater qu'à travers la musique, il peut faire une différence.

On l'a déjà vu moins souriant, ce cher monsieur Lambert. L'après-Bottine fut une période stimulante, mais aussi éprouvante. Il a lancé trois disques (Récidive, Le monde à Lambert et Bal à l'huile) et retissé son réseau. Il a dû se refaire un nom et un son sur le marché international, crucial pour la survie d'un artisan de la musique traditionnelle. «Ç'a été de l'ouvrage», admet le chanteur.

Il n'a pas tout fait tout seul. Yves Lambert s'est acoquiné avec de jeunes musiciens qui le suivent désormais depuis des années, le guitariste Olivier Rondeau et le multi-instrumentiste Tommy Gauthier, et dont les noms figurent aujourd'hui en aussi grosses lettres que le sien sur la pochette de Trio, album lancé en début de semaine.

Tricoté serré

«On joue à trois, mais on sonne comme un gros orchestre», se vante un peu Yves Lambert. On attendra de les revoir sur scène avant de se prononcer sur leur force de frappe. Sur disque, cependant, les trois musiciens forment un ensemble solide, inventif et nuancé. Tricoté serré, aussi, au sens propre comme au figuré.

«On n'essaie pas de métisser la musique traditionnelle québécoise, on l'arrange», nuance l'accordéoniste. Des mélanges, il en a fait beaucoup au cours de sa longue carrière, que ce soit au sein de La Bottine (qui a «latinisé» la trad québécoise) ou en solo (son travail avec l'oudiste Hassan El-Hadi).

Il trouve aujourd'hui certains métissages tentés par lui ou les autres se faisaient parfois au détriment de la structure profonde et intime de la musique traditionnelle québécoise. «Je ne suis plus dans cette énergie-là, laisse-t-il tomber. J'aime mieux tenir compte de l'esthétique profonde de la musique et, ensuite, organiser le groove.»

La modernité du trio d'Yves Lambert n'a rien de tape-à-l'oeil. Elle tient aux textures contemporaines, aux arrangements vifs et au jeu des musiciens, qui s'écartent subtilement et momentanément des sentiers battus de la musique traditionnelle. Une manière qui s'affiche d'emblée sur le premier morceau de l'album où la guitare décalée d'Olivier Rondeau tire La chanson du capitaine Bernard vers notre époque.

«L'expérimentation, c'est intéressant, mais il ne faut pas que ça devienne une figure de style», insiste Yves Lambert. Olivier Rondeau, lui, plaide pour la mesure et la simplicité. «Souvent, les gens mettent tout au plafond: les compositions compliquées, les arrangements sont denses, à un moment donné, c'est trop d'information, juge-t-il.

«Je préfère la subtilité. Je pense qu'on arrive à faire quelque chose de différent et de nouveau en misant sur la simplicité et l'épuration, poursuit-il, sans déranger l'auditeur.»