Connaissant l'affection de Yann Perreau pour les poètes noctambules et noceurs, on ne s'étonne qu'à demi de le voir mettre de la musique sur et sous les mots de Claude Péloquin. La fusion des univers de l'un et de l'autre a donné un album ludique, éclaté et charnel, dans lequel l'auteur-compositeur saute la clôture avec près d'une dizaine de chanteuses.

Le nom de Yann Perreau fait partie de ceux qui sont associés à l'aventure des Douze hommes rapaillés. Il est tentant, dans les circonstances, de voir un lien entre cette aventure collective centrée sur les textes de Miron et l'arrivée en magasin, mardi, d'un disque de chansons bâti sur des poèmes de Claude Péloquin. Yann Perreau met toutefois les choses au clair d'entrée de jeu: ce n'est qu'un concours de circonstances.

Sa rencontre avec l'auteur de Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? C'est assez! date de 2009, lors d'un vernissage de Zilon, l'ancien graffiteur. De Claude Péloquin, il connaissait surtout l'album Péloquin/Sauvageau, paru en 1972. «Je connaissais le mythe, mais je ne connaissais pas le bonhomme, raconte l'auteur-compositeur. Il m'a mis la main sur l'épaule et m'a dit: "J'ai des textes à t'envoyer."» C'était un euphémisme: Péloquin a mis environ 300 pages de textes inédits à sa disposition.

Que Péloquin intéresse Yann Perreau n'étonne guère lorsqu'on connaît son inclination pour des poètes comme Francoeur et Bukovski. Ce n'est pourtant pas dans son côté noctambule que le musicien se sent le plus proche de son aîné, mais dans son côté «lumineux», dans son besoin «de défier le cynisme et d'être vrai dans la création», explique-t-il.

Les deux artistes cultivent en effet une indépendance farouche. Péloquin est assurément plus caractériel, mais Yann Perreau n'est pas moins combatif lorsque vient le temps de défendre son intégrité artistique. Ainsi, lorsqu'on évoque le fait qu'il prend appui sur les textes de Péloquin, il corrige tout de suite: «On prend appui l'un sur l'autre.»

Yann Perreau a lu et relu les textes de Péloquin. Il les a raturés, reformulés et amalgamés pour se les approprier. Ce sourire qui ne ment pas, chanson de chair tendue aux airs de fantasme, a été construite à partir de pas moins de quatre poèmes. «J'ai mis beaucoup d'amour dans ces textes-là, assure-t-il. Quand je les chante, je n'ai pas l'impression qu'ils viennent de l'extérieur.»

Éclectisme habité

À genoux dans le désir ne sent pas le rapiéçage même si, sur le plan strictement musical, il se révèle particulièrement éclaté. Sonorités électroniques, cuivres, flûte, tentations pop ou funk, guitares sexy et humides, le disque palpite du coeur à l'entrejambe. Il témoigne aussi d'une soif d'absolu tant dans l'amour romantique, parfois presque épique (Vertigo de toi) que dans le désir mélancolique, mais toujours vif du pays. «J'entends crier que c'est fini/Mais moi je n'y crois pas», clame le chanteur, qui a soutenu le Parti québécois lors des dernières élections.

L'éclectisme habité des musiques trouve un écho particulier sur le plan vocal: presque toutes les chansons comptent des choeurs chantés par des femmes. D'un titre à l'autre, on reconnaît notamment les timbres de Lisa LeBlanc (Le coeur a des dents), d'Ariane Moffatt (Merci la vie) et de Marie-Pierre Arthur (Les temps sont au galop). Ce petit jeu accentue parfois la sensualité des morceaux, mais ce petit jeu n'est pas que charnel...

Yann Perreau en parle globalement comme le reflet de la «vulnérabilité» présente dans les textes de Péloquin, des versants masculins et féminins de cette écriture du «poing sur la table et de la main tendue». Une dualité qu'il peut aisément porter, puisqu'elle correspond à ce qu'il est sur scène: un corps qui danse, hyperconscient de son aura charnelle, et un garçon timide au romantisme à fleur de peau. D'un bout à l'autre du désir.