André Vanderbiest a toujours été un peu «l'autre Dédé des Colocs», celui de la mouture Dehors Novembre et des inflexions reggae qui l'ont percolé. C'est peut-être un peu pour ça qu'on l'appelait plutôt Vander et qu'il se désignait lui-même ainsi. Plus maintenant. C'est écrit là, sur la pochette de ce solide deuxième album solo: André Dédé Vander, French toast et peines perdues.

Deux choses nous frappent à la première écoute de French toasts et peines perdues. Primo: André Vander s'est délesté de sa basse électrique qui enveloppait son travail d'un nuage de fumée reggae, des projets instrumentaux Bass ma Boom jusqu'aux expérimentations poétiques du projet Dub et Litté qu'il a mené, de Montréal à Dakar, avec son vieil ami l'écrivain Michel Vézina.

Secundo: ce disque respire. Il respire mieux, veut-on dire. Les arrangements soignés sont d'une admirable délicatesse et laissent toute la place aux textes, eux-mêmes enrobés de sonorités folk aux touches klezmer, latines, trad, même. Au bout des 11 nouvelles chansons, on conclut à une véritable renaissance. Un nouveau départ.

«J'ai toujours été habitué à faire beaucoup de route», dit Vander. Né à Bruxelles, musicien de carrière après avoir été joueur de rugby en Belgique pour «des équipes provinciales, l'équipe nationale», il a toujours voyagé. Et voyager, c'est aussi un peu laisser quelque chose derrière soi.

La première fois, évidemment, c'était Bruxelles et les Frères Brozeur, son premier groupe, qu'il a quitté pour aller rejoindre les Colocs le temps d'un album et de concerts mémorables. À contrecoeur, il a ensuite dû se séparer de ses amis Dédé Fortin et Pat Esposito di Napoli, dont l'esprit rôde au détour d'une phrase dans les textes de ce nouvel album (relisez le texte du Marginal, dont l'ébauche était originalement destinée à la chanson Tassez-vous de d'là).

Ainsi, Vander a quitté la métropole. «Artistiquement, je pense que j'avais fait le tour de Montréal. Plusieurs fois. J'habite à Mont-Louis (en Gaspésie) depuis juillet dernier, avec ma blonde», la chanteuse et claviériste Amélie Laflamme qu'on avait découverte auprès des Blue Seeds et qui amène une touche bienvenue de légèreté sur l'album de Dédé. «Avec cinq mont Royal dans ma cour, et la mer à 10 minutes à pied.» On peut presque voir tout ça dans les grands horizons qui se découvrent dans l'orchestration de ce disque.

Parti à la pêche en Gaspésie, Vander? «C'est un peu ça», sourit-il. Marre de la ville, envie de faire autre chose. De retrouver l'envie de dire. «Ce n'est pas pour rien que j'ai fait plein d'albums dub instrumentaux après les Colocs. Je n'avais pas envie de parler.» Quand il s'est remis à écrire - il y a une dizaine d'années, l'album Vander et du beau monde -, ce n'était pas très rose non plus.

Il a lancé une bouteille salutaire en direction du Festival de la chanson de Petite-Vallée. Une maquette avec quelques-unes de ses chansons nouvelles, tout d'un coup qu'on s'intéresserait à lui, le vieux fan de dub. Ben tiens: participant au festival de 2011, il se voit même remettre le prix SOCAN de la chanson primée pour Y'a pas que.

«J'allais chercher une certaine reconnaissance, en tant qu'auteur-compositeur, je crois. Apprendre, aussi, sur moi, sur mon métier. J'ai réfléchi beaucoup à ce projet avant qu'il ne voie le jour.» Comment marier l'esprit d'un Tom Waits - une comparaison qui s'impose d'abord à cause de cette voix rocailleuse qu'ils ont tous deux - dans un contexte de chanson «qui baigne dans l'influence nord-américaine», précise-t-il, tout en évoquant cette passion pour le reggae et le dub qui traverse son oeuvre.

«Je ne voulais pas que le dub soit trop en avant, parce que dans ce rayon, j'ai beaucoup donné, poursuit-il. Puis, je voulais ramener l'écriture de chanson au premier plan. Le faire dans un esprit minimaliste, et garder malgré tout l'influence reggae.»

On ne saurait mieux résumer les 11 chansons de French toast et peines perdues, dont le point de départ fut cette fantastique reprise d'une méconnue de Joe Dassin, Marie-Jeanne, «qui évoque le suicide, oui, mais sans la colère» qu'il reconnaît avoir trop longtemps distillée dans ses précédents albums.

Nouveau disque, nouvel esprit. Un autre homme, André, qu'on vous dit. «Pour la première fois, je sens que les gens qui écoutent mon travail me comprennent».