L'Algérien aime chanter, rocker, rire et faire rire. À ses côtés, cependant, on ne rit pas toujours parce que c'est drôle. Artiste engagé, Baâziz construit son art sur la conjoncture maghrébine. Non sans risque.

Voilà qui justifie entièrement cette interview. Rieur, bon vivant, très vif d'esprit et, de toute évidence très courageux pour son insoumission aux dictatures nord-africaines, ses positions anti-islamistes et sa foi inébranlable au processus démocratique dans le monde arabe. Permettons-nous d'insister : cet homme pourrait être en réel danger car il continuera de s'opposer, bien qu'il le fasse via le chant et le rire.

« En Algérie, fait-il d'abord observer, c'est moins dur maintenant. Nous y avons vécu des moments très difficiles (lors de la guerre civile dans les années 90). Après tout ce qui s'est passé, les gens ne veulent plus bouger. Ce fut si souffrant! Les gens ont peur et préfèrent le status quo que de réveiller les vieux démons. Personnellement, je pense qu'il faut que ça bouge. De manière moins violente,  de manière démocratique, bien sûr. Mais il faut que ça bouge. Avec ce qui s'est passé dans les pays arabes, l'actuel gouvernement algérien sera obligé d'y consentir. Ce régime a peur. Il essaie de gagner du temps comme tous les régimes totalitaires d'aujourd'hui... »

Une question de temps, donc, selon Baâziz. Mais... ce temps s'étire trop à son goût. Las du relatif immobilisme politique dans son pays, Baâziz passe beaucoup de temps en France et a jeté son dévolu sur la Tunisie... jusqu'aux récentes élections.

« Pendant deux ans avant la révolution, je m'y suis installé dans un petit théâtre des opposants. J'y ai donné de nombreux spectacles et j'y ai fait découvrir des artistes de la relève tunisienne comme Emel Mathlouthi - qui s'est produite à Montréal samedi dernier. Plusieurs montaient alors sur scène avec des foulards sur le visage afin de ne pas être identifiés par la police. J'ai été toléré un bon moment mais, lorsque j'ai fait le plus grand théâtre de Tunis, on m'a expulsé un première fois. On m'a admis par la suite et on m'a expulsé une deuxième fois du pays. J'y suis revenu après la révolution de l'an dernier.  »

Optimiste pour la suite des choses, Baâziz?

« À mes amis tunisiens, j'avais exprimé mes inquiétudes au sujet de la possible victoire des islamistes, mais ils n'y croyaient pas trop. Vous savez, on a beau dire que la Tunisie est libérale et moderne, mais elle n'échappe pas à la tendance arabe actuelle : à court terme, les élections dans les pays arabes seront gagnées par les islamistes. Déjà en Tunisie, on attaque des filles qui portent des mini-jupes, les hijabs   y sont en hausse, on a brûlé la maison d'un directeur de  télévision avant les élections... Non, les islamistes n'accepteront que le pouvoir démocratique les détrône. Nouvelle dictature en Tunisie? Les signes ne mentent pas. »

Défenseur farouche de la laïcité, Baâziz se dit néanmoins de culture musulmane et même croyant - même s'il désire «garder ça» pour lui. Inutile d'ajouter que son engagement se trouve au coeur de ses chansons, de ses monologues. Il en tire l'émotion essentielle à un art fondé sur l'humour, la dérision, la dénonciation, et aussi beaucoup de tendresse. En Europe comme en Occident, convient-il, le chanteur engagé est plus suspect parce que trop proche d'une idée que d'un acte de création.

« On n'y risque pas non plus sa vie parce qu'on a dit deux mots de trop, pense-t-il néanmoins. Dans le Maghreb, nous vivons sous de vraies dictatures. L'engagement y est un vrai combat de vie ou de mort. C'est pourquoi, mon engagement se reflète dans mes chansons et mes monologues. Je m'exprime en francarabe, j'adapte en français lorsque c'est indiqué de le faire. Je m'exprime aussi à travers l'histoire de mon père qui était vendeur de shit (hasch) dans les années 70. À travers des anecdotes qui le concerne, je raconte la conjoncture du socialisme stalinien des années 70, je raconte mon enfance,ma famille, ma mère, etc. Toutes ces histoires sont vraies. »

D'abord chanteur de variétés en plus d'être monologuiste, Baâziz est devenu plus rock au fil du temps.

« Au début de ma carrière, il faut dire, je ne faisais pas beaucoup attention à la musique. Je m'adressais essentiellement aux Algériens, je préconisais une poésie de la rue et des musiques folkloriques ou populaires - dont je pouvais détourner les paroles. Puis  j'ai mûri et je suis revenu à mes vraies amours musicales : le rock, Elvis, la musique avec des cuivres, etc. Bon, je n'ai pas fait d'album studio depuis Café de l'Indépendance, j'ai préféré tourner et préparer lentement un nouvel album qui est presque prêt. »

De retour à Montréal ce vendredi, Baâziz dit n'y avoir donné qu'un seul «vrai spectacle» au Théâtre Saint-Denis à la fin des années 90, après quoi il a été reçu par la communauté maghrébine locale « pour y faire le boeuf ». Et un peu la révolution, on le devine...

Dans le cadre du Festival du Monde Arabe, Baâziz se produit vendredi, 20h, au Théâtre Maisonneuve. Pour infos: www.festivalarabe.com