Joint à Lagos quelques jours avant qu'il n'entreprenne une tournée nord-américaine qui fera escale à Montréal mercredi prochain et dont la matière principale sera tirée du nouvel album Africa for Africa (étiquette Knitting Factory), Olufela Olufemi Anikulapo Kuti (d'où le diminutif Femi) est invité à résumer sa contribution à l'afrobeat.

Furieux mélange de funk, de traditions ouest-africaines (highlife ghanéen et musique traditionnelle yoruba, entre autres) et d'effluves de jazz, cette musique populaire du Nigeria est sans contredit l'une des principales que l'Afrique moderne a engendrées au cours d'un demi-siècle d'indépendance. Voilà également le style ayant marqué le plus les musiques populaires occidentales ces dernières années. Dans plusieurs grandes villes de l'Occident, il se trouve effectivement des musiciens qui s'en réclament, qui la pratiquent ou l'incluent parmi leurs matériaux de création - Antibalas à New York ou Afrodizz à Montréal, pour ne nommer que ces évidences.

Est-il besoin d'ajouter que des centaines de musiciens ont écouté Fela et Femi Kuti avant de passer à l'action.

«J'ai du mal à parler de moi, confie Femi Kuti, je crains d'avoir l'air arrogant! Mais puisque vous insistez, je vous dirais avoir amélioré mon jeu à l'orgue et à la trompette si je m'en tiens à la période récente. Je crois avoir aussi haussé le niveau de la section des instruments à vent au sein de mon orchestre, fondamentale dans ma musique. L'évolution de mon groupe a aussi été marquée par l'introduction de nouvelles technologies. De plus, la présentation sur scène demeure très importante, j'y mets beaucoup de soins. L'expérience fait aussi une différence, je crois», explique le musicien de 48 ans, père de cinq enfants.

«Je crois bien qu'ils seront tous impliqués dans les arts, de près ou de loin. Je ne serais pas étonné qu'il en fassent une profession, mais ce sont eux qui décideront comme je l'ai fait. Depuis l'enfance, en tout cas, j'ai toujours trouvé que l'afrobeat était très spécial. Hormis la musique traditionnelle, nous écoutions du jazz et du funk à la maison, j'avais alors saisi le niveau nécessaire de ces musiciens américains pour percer à l'étranger. Et j'observais aussi la progression de mon père avec fascination. L'afrobeat m'est toujours apparu comme un mélange très spécial, tant pour l'écoute que pour la danse.»

Adolescent, Femi Kuti était devenu membre de l'orchestre paternel pour ensuite fonder son propre groupe à la fin des années 80. Aujourd'hui, Positive Force demeure respecté des connaisseurs de musique africaine, malgré les réserves de certains. Plus récemment, d'ailleurs, son jeune frère Seun Kuti a aussi entrepris de faire carrière en évoquant les sonorités originelles de l'afrobeat - en 2007, il s'est d'ailleurs produit à Montréal avec plusieurs collègues de Fela - vétérans du groupe Egypt'80.

Femi, lui, suggère un afrobeat plus précis, plus professionnel, peut-être même trop selon certains.

«Personnellement, je crois au développement d'un genre. Nous n'en sommes encore qu'au début! Les prochaines années nous permettront d'aller beaucoup plus loin. Je ne crois pas, donc, que les formes originelles soient immuables et que les miennes soient trop propres.»

Qui plus est, tient à souligner notre interviewé, l'engagement socio-politique demeure ancré dans le processus de création.

«Il pourrait même l'être davantage, car des changements politiques et sociaux sont imminents à l'échelle planétaire. Les économies sont moins stables, les gouvernements sont souvent ébranlés par le choc des tendances. Ainsi, l'afrobeat demeure un véhicule de contestation. C'est un fondement de l'afrobeat que de chanter contre l'injustice. Bien évidemment, ça fait partie de mes préoccupations en tant que créateur.»

Très connu hors du continent noir, le musicien et chanteur tient à demeurer avec sa famille au Nigeria, source principale de son inspiration.

«Mon combat principal se trouve en Afrique, particulièrement dans mon pays. Nous y vivons de profondes mutations et de nombreux entrechoquements comme c'est le cas en Côte d'Ivoire, au Rwanda, au Zimbabwe ou au Congo. Je reste quand même optimiste pour l'Afrique et l'ensemble de la planète. Je crois sincèrement au changement positif et je crois avoir un rôle à jouer dans ces mutations, aussi modeste soit ce rôle. Je trouve important de me battre contre les inégalités et la corruption, problèmes majeurs en Afrique. Il faut nous battre pour une meilleure vie. Et, dans cette optique, il faut un sens de l'histoire. Il faut que les jeunes générations saisissent bien d'où provient mon père, d'où je proviens, d'où elles proviennent.»

Femi Kuti et sa formation se produisent à l'Astral, le mercredi 20 avril, 20h.