En mai prochain, Pierre Lapointe comptera 30 bougies sur son gâteau d'anniversaire. Et ces jours-ci, il souffle sur les 10 chandelles de sa carrière de «chanteur pop à texte à succès». Pour souligner ces «étranges lueurs», il a lancé cette semaine l'album Pierre Lapointe seul au piano et présentera en mai un spectacle multidisciplinaire racontant l'histoire d'un roi qui doit s'enlever la vie à l'aube de ses 30 ans... Tout ça fait avec goût. Et surtout le goût de continuer.

En cette fin d'après-midi d'entrevues non-stop, Pierre Lapointe est un brin pâle: un très méchant virus s'est attaqué à son système, et il se contente donc de dévorer... des verres d'eau. Cela ne l'empêche pas de parler avec passion de tous ses projets, dont son sixième album, en magasin depuis mardi.

Un album qui boucle la boucle, en quelque sorte. On y entend Lapointe tel qu'en ses débuts il y a 10 ans, seul avec tout juste un piano. L'un des 16 morceaux qui y figurent, La boutique fantastique, comptait même parmi les chansons qu'il avait présentées en 2001, au Festival de Granby, où il avait remporté haut la main le premier prix dans la catégorie auteur-compositeur-interprète. «À l'époque, se remémore Pierre Lapointe, je disais que je n'étais pas chanteur et j'avais un complexe parce que j'avais appris le piano tout seul. Il a fallu que je travaille pendant 10 ans pour assumer ça. Beaucoup de travail... Je me suis dit d'arrêter de me sentir mal, c'est pas grave si je fais toujours les mêmes affaires au piano: mes mélodies sont vivantes, j'ai de quoi à dire et je m'exprime bien au piano sans être un prodige. C'est pas pire.»

Pendant ces 10 ans, Pierre Lapointe a connu le succès, critique et public. Il a surtout transformé un peu le monde de la chanson québécoise en amalgamant les arts (rappelez-vous le show Mutantès en 2008, qui mariait chansons totalement inédites et chorégraphie contemporaine), en multipliant les duos (Montréal -40 avec Malajube, Chanson cochonne avec Random Recipe...), en mâtinant sa musique de toutes sortes d'orchestrations (avec le Consort contemporain, ou Philippe Brault, ou l'Orchestre Métropolitain, ou le Quatuor Molinari, etc.), en composant pour d'autres (Stéphanie Lapointe, Élisapie Isaac) ...

En novembre 2009, dans le cadre de Coup de coeur francophone, il a encore innové en présentant à minuit un spectacle solo intime, au Lion d'or. On y a découvert un Lapointe hilare, à l'aise, intense, rigolo, disert... À des années-lumière du personnage délicieusement fendant de ses débuts, personnage dont il a d'ailleurs réussi à se débarrasser avec goût et grâce. Ce n'était plus Lapointe, c'était Pierre...

Pierre au piano

Ce spectacle solo n'a pas cessé depuis de tourner un peu partout, avant de devenir l'album Pierre Lapointe seul au piano: «Sans le savoir, un mois et demi avant qu'on enregistre le show, les gens qui sont venus me voir ont assisté aux shows les plus longs que j'ai jamais donnés, dit-il en riant. Je faisais 30 chansons par soir, c'était rendu que je ne parlais presque plus au public, je faisais juste «clencher les tounes» pour qu'au moment où on enregistre le CD, je sois bon et prêt dans "toute".»

Il a ensuite «toute» enregistré, quatre soirs durant, devant public, à la Chapelle du Bon-Pasteur (où se trouve un exceptionnel piano Fiazoli). Et avec son arrangeur de son et mixeur Francis Beaulieu, ils ont travaillé comme des malades pour que ça donne un excellent «disque live mais studio»: «On n'a gardé qu'un peu d'applaudissements des spectateurs, explique l'étonnant natif du Lac-Saint-Jean élevé à Gatineau. On a aussi enlevé pratiquement tous mes blablas. Sur scène, je dis beaucoup de niaiseries, j'improvise, je ris beaucoup. Ce sont des libertés que tu peux te permettre sur scène, ça fait des beaux souvenirs de show en plus, c'est ce qui le rend unique. Mais ça vieillit mal sur disque.»

Toujours avec Francis Beaulieu, Lapointe a ensuite écouté une première version de l'album. C'était bien fait, c'était propre... «Et c'était plate, laisse tomber Lapointe. Alors, on a réécouté des disques live des années 60 de Barbara, des vieux tapes de Nina Simone, et j'ai dit "Envoye, mon Francis, salis-moi ça".»

Le fonctionnaire le fun

Étonnant, tout de même, que Lapointe présente toujours ce spectacle solo, lui qui jusqu'ici s'imposait de ne jamais se répéter.

«Ben, je m'arrange pour ne pas me tanner, genre je fais monter tous les spectateurs sur scène, certains soirs! En solo, j'ai cette liberté incroyable, celle de pouvoir tout changer sur un coup de tête, là, tout de suite. Et puis, ce show me donne le luxe de monter d'autres projets! Ce spectacle solo, je l'appelle «ma job de fonctionnaire le fun» (rires): trois fois par semaine, je vais faire un show et je trippe! C'est devenu un truc plus stable à côté de trucs moins stables.»

Au nombre des trucs moins stables, il y a notamment Conte crépusculaire, conçu par Lapointe et l'artiste visuel David Altmejd à la galerie de l'UQAM du 4 au 7 mai. Un travail collectif et multidisciplinaire, puisque s'y greffent aussi le Quatuor Molinari, le compositeur contemporain Yannik Plamondon, la chanteuse Émilie Laforest, l'artiste visuel Pascal Grandmaison, l'arrangeur-compositeur-réalisateur Philippe Brault...

Le récit initiatique imaginé par Lapointe raconte les 40 dernières minutes de la vie d'un roi (interprété par le chanteur) qui doit se tuer à l'aube de son trentième anniversaire: «Son fils va prendre sa place, sa femme lui prépare ses obsèques, ses sujets lui font son sarcophage live, explique-t-il avec un beau grand sourire. C'est un truc à mi-chemin entre Le roi se meurt de Ionesco et Hamlet, dans la tradition de l'absurde et de la grande tragédie anglaise. Ça va être plus de la performance que du théâtre. Plus comme un tableau vivant.... Ou plutôt une manière de crèche vivante, mais trash!» précise-t-il en riant.

Le vendeur

Au cours de la dernière année, Lapointe a composé la musique du premier long métrage de Sébastien Pilote, Le vendeur, qui vient d'être présenté au prestigieux festival de film de Sundance et sortira ici cet automne.

En 2007, Pilote avait utilisé l'instrumentale de Lapointe, 25-1-14-14, pour son premier court métrage, Dust Bowl Ha! Ha! (2007), reçu avec chaleur un peu partout dans le monde. En voyant ce court, Lapointe ne s'en cache pas: «J'ai pleuré. J'ai été honoré comme ça n'a pas d'allure qu'il ait utilisé ma musique.»

Il a donc accepté illico de faire la musique du premier long métrage de Pilote... en se félicitant presque que le budget musique soit plutôt maigre: «Avec un gros budget musique, on aurait eu un producteur qui nous aurait demandé des musiques qui ressemblent à Untel ou qui durent exactement tant de secondes pour fitter avec l'image. Moi, ça ne m'intéresse pas. J'ai dit à Sébastien qu'il ne m'envoie pas son scénario: qu'il vienne plutôt souper au resto avec moi et qu'il me raconte quatre plans de son film qu'il a hâte de tourner. Le lendemain, je me suis mis à composer une trentaine de musiques, de 15 à 30 secondes, je lui en envoyais une aux 45 minutes.

«C'était comme quand j'étais au secondaire, reprend-il. À l'époque, je m'étais mis au défi de composer une mélodie au moins une fois aux deux jours, avec l'idée de ne pas mettre de mots sur ce que je ressentais, de l'exprimer plutôt par de la musique. Parfois, ça donnait une mélodie de quatre secondes, parfois de deux minutes, parfois c'est devenu la musique d'une chanson comme De glace par exemple, dix ans plus tard. C'est comme ça que j'ai travaillé avec Sébastien. En plus, il a tourné à Mistassini et moi, je viens du Lac, ce sont mes plus beaux souvenirs d'enfance, alors...»

Alors, pour une fraction du prix que demanderait un compositeur, Lapointe, avec la collaboration de son comparse Philippe Brault, a fait de la musique sur mesure pour Le vendeur.

«Depuis 10 ans, je travaille de façon, et sur plein de trucs éclectiques, avec plein de monde. Et c'est toujours des succès parce qu'on le fait pour les bonnes raisons. J'ai beaucoup d'amis en arts visuels et eux, ils ne se demandent jamais combien ils vont vendre de toiles: ils font des oeuvres. C'est eux qui ont raison. C'est pour ces rencontres-là, ces collaborations avec d'autres artistes que j'ai le goût de continuer...»