Comme Bob Dylan, à qui elle a été liée dans les années 60, Joan Baez donne l'impression que la tournée qui l'amènera au Théâtre Saint-Denis vendredi prochain n'a pas de fin. La remarque la fait rigoler. «Une tournée sans fin? C'est ce que me dit ma mère. Elle voudrait que je reste à la maison. Elle me dit: ''Et si je mourais pendant ton absence?''»

Joan Baez parle de sa mère de 97 ans et elle éclate d'un rire spontané qui ajoute au charme naturel de sa voix. Ça s'entend, cette grande dame de la chanson américaine, qui aura 70 ans en janvier, est aussi vibrante sinon plus que quand elle était la muse et l'interprète des folksingers des années 60.

«D'une certaine manière, j'ai plus de plaisir parce que je suis plus détendue et que je m'impose moins de pression, dit-elle de sa maison en Californie. Je peux donc mieux me concentrer sur la musique. Le car dans lequel je voyage est très bien et cette fois, je n'ai qu'un musicien avec moi. On verra bien ce que ça va donner.»

Le musicien en question, Dirk Powell, joue du banjo, de la mandoline, de la guitare, du piano et du violon, mais le contexte intimiste de ce concert réjouira sans doute les fans de Joan Baez qui ne demandent pas mieux que d'entendre sa voix cristalline, accompagnée de sa seule guitare. «Je sais, mais il y a tellement de chansons que je ne peux jouer seule», répond-elle.

Joan Baez n'a pas choisi d'être la voix d'auteurs-compositeurs de talent qui avaient quelque chose à dire. Elle s'explique: «J'ai été au coeur d'une révolte contre ce qu'on a appelé la musique bubblegum, la même révolte qu'on connaît aujourd'hui. Enfin, ce n'est pas tout à fait pareil parce que je ne crois pas qu'on connaîtra jamais une autre décennie comme celle-là. C'était sans doute une «tempête parfaite»: le Vietnam, la lutte pour les droits civiques, la musique et la pensée politique des gens, tellement doués, qui la créaient. Nous étions une contreculture et nous sommes devenus la culture.»

Prendre la parole

Joan Baez a toujours été associée sinon au militantisme, du moins aux grandes questions sociales et politiques. Elle a marché aux côtés de Martin Luther King et a dénoncé avec énergie l'emprisonnement de son mari David Harris qui refusait d'aller se battre au Vietnam. Depuis, elle a continué à prendre la parole pendant que d'anciens compagnons de route se faisaient moins revendicateurs.

«J'ai commencé à penser ainsi vers l'âge de 7 ans quand mes parents sont devenus quakers, explique-t-elle. Les quakers croient que l'être humain passe avant l'État-nation et que ce n'est pas correct de tuer des gens pour quelque raison que ce soit (...) Je dirais que mon premier don fut ma voix et mon deuxième, la volonté de m'en servir comme je l'ai fait. Les gens ont cru que c'était un sacrifice de ma part, mais ça ne l'a jamais été.»

Certains lui ont aussi reproché d'être trop transparente, notamment dans un documentaire et une autobiographie rééditée ces dernières années. «Les gens devraient être transparents surtout pour ce qu'ils préféreraient cacher, répond-elle. Mais il y a des questions auxquelles je refuse de répondre. Et si on insiste trop, je dis qu'on me foute la paix!»

En février dernier, Joan Baez célébrait encore la musique du mouvement des droits civiques avec d'autres artistes à la Maison-Blanche. Elle demeure une fervente partisane d'Obama, la première personne qui lui a rappelé Martin Luther King. «Mon opinion sur lui n'a pas changé même si je ne comprends pas pourquoi il s'entête à rester en Afghanistan», dit-elle.

Elle est parfois découragée par l'état du monde et n'est pas très optimiste quant à l'avenir de la race humaine en général: «Je pense à ma petite-fille et je me dis «mon dieu, de quel monde va-t-elle hériter?»». Mais elle n'en continue pas moins de chanter, comme elle l'a fait sur son site web en reprenant We Shall Overcome en guise d'appui aux résistants iraniens sans s'imaginer pour autant que cette seule chanson allait transformer leurs vies.

«L'autre jour, se souvient-elle, je parlais à un homme de l'avenir terrible qui nous attend et nous sommes partis à rire. Parfois, il vaut mieux en rire et vivre dans le déni, sinon aussi bien se tirer une balle dans la tête. Cet homme m'a dit qu'il avait toujours en tête l'image des musiciens sur le Titanic qui continuaient à jouer pendant que le bateau coulait. Il faut continuer à jouer et il faut remonter le moral des gens. Et s'il y a quelque chose de concret que je peux faire pour arrêter la souffrance, bien sûr que je le ferai.»

Joan Baez, au Théâtre Saint-Denis, le 15 octobre.