À 69 ans, Dave Burrell est un vieux routier... de l'avant-garde jazzistique, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Chose certaine, le pianiste new-yorkais en a encore long à dire, tant sur les ivoires qu'au bout du fil.

Né à Middletown, en Ohio, Dave Burrell a grandi à Hawaii. Il y a étudié jusqu'en 1960 avant de regagner le continent et d'y compléter des études de composition à la renommée Berklee School of Music, à Boston. Ses parents étaient des chanteurs d'opéra qui avaient trouvé du travail à Honolulu - chant lyrique, musicals style Broadway, gospel. Pour un jeune Afro-Américain de cette époque, cette existence n'avait rien de banal.

 

« Nous vivions dans un environnement multiracial très particulier, véritable laboratoire de la société d'aujourd'hui «, relate-t-il d'une voix placide et grave. En 1966, Burrell s'est installé à New York, on était encore en pleine « new thing «, expression qui désignait l'improvisation libre à laquelle adhérait une avant-garde de jazzmen.

Au cours de la même année, il a démarré un groupe qu'il avait nommé Untraditional Jazz Improvisational Team, pour ensuite fonder le 360 Degree Music Experience deux ans plus tard. Quatre décennies plus tard, Burrell est toujours considéré parmi les plus éminents pianistes associés aux concepts d'improvisation libre et de cette sous-tendance que l'on nomme maintenant jazz contemporain. Est-il besoin d'ajouter qu'il fut associé à des figures aussi importantes que les saxophonistes Archie Shepp (avec qui il revient à peine d'une tournée européenne), Pharoah Sanders, Marion Brown ou David Murray.

Les recherches de Dave Burrell, il faut dire, ne se limitent pas au vocabulaire apparemment aléatoire du free jazz. Le musicien porte aussi un grand intérêt aux opéras italiens, à la musique baroque tout comme aux techniques pianistiques pré-modernes du jazz (Fats Waller, Jelly Roll Morton, James P Johnson, Earl Hines, etc.), qu'il adapte à un style contemporain comme l'ont fait ses prédécesseurs, par exemple Sun Ra ou Jacki Byard.

Dans le cadre des Suoni Per Il Popolo, Dave Burrell joue ce soir aux côtés du contrebassiste William Parker et du batteur Michael Wimberly - qui remplace Hamid Drake, aussi associé à cette formation que le pianiste a nommée Peace OUT.

Que justifie ce nom? « J'ai un ami DJ à Washington qui me téléphone souvent après avoir travaillé. À la fin de nos conversations, il termine toujours en lançant peace OUT! (rires). Belle manière de terminer un appel... ou de démarrer un concert ! «

Pour le pianiste, le concept de ce trio est le suivant : « Chacun d'entre nous ouvre le jeu avec une phrase musicale, les autres se joignent progressivement à la phrase de son instigateur. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas nécessairement d'une phrase mélodique; effet percussif, frottement de cordes... Il s'agit, en fait, de stimuler l'imagination et l'inspiration du trio.

« Hé! Mon collègue est en train de jouer quelque chose de différent! De mon côté, que puis-je faire que je n'ai jamais fait auparavant? Comment puis-je compléter le jeu de mes acolytes? Comment réussir mon entrée en matière? Ma sortie? Vous savez, il est très difficile de faire quelque chose de neuf. Généralement, on s'en tient à ce qui nous semble confortable; on tombe dans les clichés et l'auditoire finit par s'en rendre compte. «

Avec plus d'un demi-siècle d'avant-garde derrière la cravate, Dave Burrell évite encore le surplace. Nouveau CD en duo avec la chanteuse Leena Conquest, prévu en septembre. Duo avec le batteur Billy Martin - de Medeski, Martin & Wood. Trio italien avec le trompettiste Giovanni Falzone et l'altiste Paolo Botti. Quartette avec Falzone, le contrebassiste Harrison Bankhead et le batteur Gerald Cleaver. On en passe.

«Où suis-je? Quotidiennement, je joue beaucoup de Bach pour maintenir ma technique au clavier. Je revisite certaines parties de l'opéra Winward Passages, que j'avais créé avec Monika Larrson. Au piano, j'essaie d'être le plus limpide dans tout ce que j'interprète ou j'improvise. Il est si simple de lancer quelque chose sur le mur et de voir ce qui y reste collé. Je ne suis vraiment plus là.

«Je cherche à atteindre une limpidité et une précision maximales. Je continue de m'exprimer à travers le langage du jazz contemporain, mais avec la clarté d'un Bud Powell ou d'un Ahmad Jamal.»

Toute bonne chose a une fin, M. Burrell. Il faut raccrocher... Peace OUT!

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Dans le cadre des Suoni Per Il Popolo, Dave Burrell se produit ce soir, 20h30, en trio à la Sala Rossa, avec le contrebassiste William Parker et le batteur Mike Wimberly.