L'auteur, compositeur et interprète montréalais Paul Cargnello sort de sa zone de confort musicale pour investir une terre de légendes et d'injustices, La Nouvelle-Orléans. Appuyé par ses confrères du groupe Frontline et de la section de cuivres de Papa Groove, Cargnello offre ces jours-ci l'épatant Bras Coupé, un disque qui suinte le funk des Bayous chauds et humides.

«La première fois que j'y suis allé, c'était avant Katrina. Deux ans avant, raconte Cargnello, quelques heures avant le lancement de son album au Petit Campus. Ça m'a charmé, la ville, les gens, l'ambiance. C'est incroyable ce qui se passe, là-bas, musicalement. La fusion des genres, l'acceptation d'un certain éclectisme, ça me paraissait rare et précieux.»

Il faut justement un soupçon de tolérance face à l'éclectisme pour bien cerner Cargnello le musicien, anglo-montréalais qui s'est développé une franche francophilie en côtoyant ses semblables à l'est de la Main, en enjambant la soi-disant barrière linguistique pour offrir des albums d'un folk-rock tributaire des cultissimes The Clash dans les deux langues officielles du Nouveau-Brunswick, terreau acadien qui trace un lien culturel et historique avec la Louisiane.

Avec sa blonde, Cargnello s'est payé le voyage initiatique, suivant la mythique Highway 61, frôlant les berges du Mississippi à la découverte de ces musiques de racines qui comptent tant pour lui. Tout au bout du voyage, il atterrit à la Mecque, en quelque sorte, le croissant fertile des musiques populaires, jazz, blues... Derrière la fanfare, Cargnello découvre surtout les gens et leur histoire.

«Peut-être est-ce parce que je suis un anglophone montréalais que je me retrouve dans ces gens-là», tente-t-il d'expliquer. Comme dans une sorte de miroir déformant. «C'est curieux, en Nouvelle-Orléans, la scène musicale francophone est underground. Ici, à Montréal, c'est tout le contraire: la scène anglo est moins connue, plus underground, par rapport à la scène musicale francophone. C'est intéressant, on dirait un monde à l'envers... Je suis tombé en amour avec cette ville.»

Double inspiration

Bras Coupé est le fruit d'une double inspiration, la musique, «celle de Dr John, qui m'a toujours marquée», insiste-t-il, et le folklore. Au fil des 15 chansons, on croise des personnages issus de l'histoire de la ville louisianaise: Annie Christmas, Mama Roux, Zozo Labrique, ce Bras Coupé qui a donné son nom à l'album.

«La raison pour laquelle je parle de ces gens, c'est pour qu'on n'oublie pas le régime esclavagiste de l'époque, dit le musicien, reconnu pour son engagement social et politique. Ces personnages sont tous plus ou moins reconnus comme des révolutionnaires de leur époque. Encore aujourd'hui, tu peux le voir dans les rues, la division des classes sociales et d'abord et avant tout une division raciale. Ça existe encore et plus, c'est fondamental dans la compréhension de la culture. Ça fait longtemps que des gens là-bas luttent pour une société plus égalitaire.»

Pour les fans de Cargnello - et ils sont de plus en plus nombreux chez les francophones depuis le succès d'estime de l'album Brûler le jour (2007, aussi sur étiquette Anubis) et de la chanson Une rose noire -, l'enveloppe musicale funk des Bayous, façon The Meters (la comparaison classique) est inédite. Mais, loin d'être un hommage au son seventies de La Nouvelle-Orléans, Bras Coupé passe surtout pour une traduction de l'esprit musical louisianais par un musicien montréalais lui aussi partagé par ses deux identités linguistiques.

«C'est vraiment mon interprétation très personnelle de cet univers musical, explique-t-il. L'inspiration qui soutient l'album, c'est les années 70 de La Nouvelle-Orléans. Même les punk rockers avaient reconnu l'importance de cette scène: The Clash a repris Junco Partner (sur l'album Sandinista!), une chanson traditionnelle louisianaise. Ils ont compris tout ça! Et comme chez les punks, leur musique contient cette contradiction entre la joie, la fête et la tristesse et la détresse.»

À vrai dire, s'il y a un parallèle à dresser entre la musique de Cargnello et celle des années 70 louisianaises, ce n'est ni vers The Meters, ni vers Dr John, qu'il faut se tourner. Cherchez plutôt du côté de Zachary Richard, ses premiers albums gorgés d'un funk pataud, un artiste qui, lui aussi, s'est révélé en français après des années à composer et enregistrer en anglais. «J'ai un immense respect pour lui. J'ai pourtant découvert son travail tard dans ma vie - moi, c'est avec Charlebois et Beau Dommage que j'ai grandi... Je prends ça comme un compliment: son album Bayou des mystères est une référence pour moi.»

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