Certains disques sont marquants, d'autres sont des passages obligatoires vers un travail plus abouti. Pour Dave Gahan, le nouvel album de Depeche Mode, Sounds of the Universe, est de la première catégorie. Rencontre avec un chanteur de talent devenu un artiste épanoui.

Dave Gahan est un survivant. Depuis le milieu des années 90, il a mis de l'ordre dans sa vie : fini les drogues dures et les tentatives de suicide, l'homme a trouvé sa rédemption dans la vie familiale, l'artiste, dans la musique. Mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain.

La voix de Gahan est depuis bientôt 30 ans indissociable de Depeche Mode, un outil essentiel qui a permis au célèbre groupe britannique de survivre aux années 80 alors que tant d'autres adeptes du rock synthétique y ont laissé leur peau.

Pourtant, le chanteur n'était pas satisfait. Il lui manquait ce petit quelque chose qui ferait de lui, dans son esprit en tout cas, un membre à part entière de Depeche Mode.

Avec le nouvel album du trio britannique, Sounds of the Universe, c'est chose faite. Le Dave Gahan qui me reçoit dans une suite d'un hôtel-boutique de Tribeca appartenant à Robert De Niro, à deux pas de son studio d'enregistrement new-yorkais, est un homme chaleureux et un artiste épanoui, très fier du travail qu'il vient d'accomplir avec ses collègues Martin Gore et Andrew Fletcher. Pas uniquement parce que comme sur l'album précédent Playing the Angel (2005), il a contribué trois chansons de son cru une autre, écrite pour la première fois avec Gore (Oh Well) est dans le coffret de luxe de l'album mais parce que cette fois, la barre était plus élevée: Depeche Mode est arrivé en studio fin prêt et le trio a vraiment travaillé en équipe.

«Nous avons eu le luxe d'entrer en studio avec 20 ou 25 maquettes de chansons déjà prêtes, raconte Gahan. On en a finalement retenu 13, toutes solides, dont trois des miennes. Honnêtement, je m'étais dit que ça serait difficile d'en placer deux! Et cette fois, Martin a travaillé très fort, il s'est pointé chaque jour en studio, sobre, prêt à s'investir. Ce n'était plus un party, ni une beuverie.

Ça n'a pas toujours été comme ça?

Moi, ça fait déjà un bout de temps que je me suis rangé. Quant au groupe je dirais que c'est le disque le plus discipliné que nous ayons fait.» (rires)

En période d'apprentissage

Dave Gahan aura 47 ans le 9 mai, veille du premier concert de la tournée mondiale de Depeche Mode à Tel-Aviv. Mais à l'entendre, il est toujours en période d'apprentissage. «J'ai travaillé fort sur ma voix, je connais mes limites, dit-il. Mais je ne veux pas rester dans cette zone de confort, je veux aller plus loin.

Comme dans la nouvelle chanson Peace?

Exactement. Il y a des choses que je peux faire avec ma voix aujourd'hui que je ne pouvais pas faire il y a des années. Ça vient de l'expérience et de la confiance. Il y a beaucoup de vécu dans une voix, c'est comme pour un bon guitariste, s'il continue à jouer, il va forcément s'améliorer.»

Andrew Fletcher a déjà dit que plus il avait confiance en lui, plus Gahan apportait à Depeche Mode. Mais Martin Gore, qui écrivait jusque-là les chansons du groupe, a-t-il accepté sans broncher la nouvelle contribution du chanteur?

«Après un bout de temps, oui, répond Gahan. C'est comme quand tu entres pour la première fois dans la maison de quelqu'un d'autre, tu te sens un peu mal à l'aise, tu ne sais pas où t'asseoir. Aujourd'hui, j'ai pris ma place. Si je ne l'ai pas fait plus tôt, c'est beaucoup à cause de ma propre insécurité. Il ne fallait pas seulement que mes chansons soient bonnes, il fallait qu'elles soient très bonnes !

À l'époque de l'album Exciter (2001), je sentais vraiment que je n'évoluais pas au plan créatif, mais je ne savais pas pourquoi. C'est devenu évident quand j'ai fait mon premier album solo : j'avais besoin de m'impliquer davantage dans l'écriture des chansons. «

Dans Sounds of the Universe, estime Gahan, il y a un bel équilibre entre les synthétiseurs analogues, les guitares, les sons virtuels, les sons nouveaux et la performance : «Aujourd'hui, tout le monde vante les synthétiseurs analogues, pourtant quand on en jouait il y a 20 ans, c'était comme si on commettait un péché mortel. Surtout ici, en Amérique, où les journalistes disaient: mais d'où vient la musique, qui joue quoi au juste?»

Sauf que le public, lui, était au rendez-vous, comme il l'a toujours été à Montréal où Depeche Mode reviendra le 25 juillet, au Centre Bell. «Peut-être parce que nous avons toujours fait les choses à notre manière, soumet Gahan. Personne ne nous a jamais dicté une ligne de conduite. Aujourd'hui, plusieurs groupes disent qu'on les a influencés justement parce que nous ne nous contentons pas de répéter ce que nous avons fait auparavant. «

À l'écoute de Sounds of the Universe, on a la nette impression que ces nouvelles chansons sont faites sur mesure pour la scène, c'est tout juste si on n'entend pas le public chanter à l'unisson.

«C'est drôle que tu dises ça, mais comme toutes les chansons étaient écrites d'avance, j'ai eu du temps pour me les mettre en bouche, répond Dave Gahan. Une fois en studio, comme je les avais déjà intégrées, je les ai chantées comme si j'étais en spectacle.» On a déjà hâte au 25 juillet.

Photo: Anton Corbijn, fournie par EMI