«Maintenant, Sèège est connu dans le monde entier, il se démerde tout seul et c'est très bien, disait Jane Birkin à propos de Gainsbourg en février dernier. Ça me permet d'abord de chanter en anglais, avait-elle ajouté en entrevue, et puis aussi de faire mon propre petit disque en français, que peut-être personne n'achètera...» Ce «propre petit disque en français», dont tous les textes sont signés Jane Birkin, sort le 18 novembre et croyez-moi sur parole: on va être une méchante gang à l'acheter tant il est réussi!

«Mais comment faites-vous pour écrire, puis chanter «Je veux être devant toi à poil» et que ce soit d'une élégance et d'un raffinement incroyables?» s'écrie la journaliste, estomaquée.

 

Seul le beau rire de Jane Birkin répond au bout du fil. À 61 ans, celle qu'on a considérée jusqu'ici comme la muse de Gainsbourg et du cinéaste Jacques Doillon se révèle en effet une parolière hors du commun, capable d'audace et de poésie, sur ce nouvel album baptisé Enfants d'hiver - son premier disque à titre d'auteure à part entière. «J'ai fait très gaffe aux textes, je sais que je vais être taxée d'être une Anglaise qui essaie de faire du français, dit-elle avec cet accent inimitable, mais je me suis quand même permis de faire des «gourages» exprès. Je chante «UNE cafard» un moment donné, ça m'a tellement fait rire, je l'ai gardé, je sais que c'est une erreur, mais je la voulais!» ajoute en riant la «jeune» auteure.

Une auteure capable de concilier mystère et impudeur («je suis plus nue que nue dans certains textes, vous trouvez pas?»), d'aborder des sujets difficiles (l'âge, le dernier amour, la colère, les aimés morts), de faire la part belle à l'humour féroce, mais aussi de manier des procédés poétiques comme peu d'auteurs le font depuis... Serge Gainsbourg, si je ne m'abuse: oui, il y a bel et bien des enjambements, contre-rejets et rejets, des parataxes (allez, faites un effort, regardez dans le dictionnaire...) et des vers libres dans les textes de Jane Birkin!

Et tous ses très beaux textes sont couchés sur de super musiques, pertinentes, contemporaines, composées notamment par Alain Souchon, Franck Eurly, Hawksley Workman et Édith Fambuena. Ah, Édith Fambuena, guitariste douée, compositrice, réalisatrice: qui sait qu'elle a notamment coécrit La nuit je mens d'Alain Bashung, coréalisé et arrangé le fabuleux disque Fantaisie militaire de Bashung (sacré Album des 20 dernières années aux 20es Victoires de la musique!), qu'elle a joué avec Marianne Faithfull et Brigitte Fontaine, réalisé certains des meilleurs albums d'Étienne Daho, dont le plus récent, fort réussi et couronné d'ailleurs aux Victoires de la musique 2008, en France? Qu'elle fut d'abord du duo Les Valentins et désormais du trio Spring (à découvrir sur MySpace)? Ayant récemment mis sur pied son propre studio d'enregistrement avec Annika Grill, elle aussi auteure-compositrice, chanteuse, directrice artistique, arrangeure, ingénieure de son, Édith Fambuena a réalisé et arrangé (fabuleusement) Enfants d'hiver...

Piano et voix

«Je suis bien contente que vous en parliez, parce que tout ça, ce disque, c'est beaucoup grâce à Édith et à Annika, dit Jane Birkin de sa jolie voix chantante. Je voulais faire très simple, dans le sous-sol, avec Édith. Pour une chanson comme 14 février (triste et troublante jusqu'au halètement final, qui évoque Je t'aime moi non plus - ou la mort), on a travaillé juste piano et voix. Et puis après, on a ajouté d'autres instruments... Après une cornemuse, un violoncelle joué par une jeune fille de 19 ans... Pour les guitares, j'ai dit à Édith: prends des garçons!»

Mais elles ont gardé le piano et la voix seuls pour les magnifiques À la grâce de toi et Pourquoi, qui pourraient avoir été inspirées à Jane B. par ses veilles au chevet de sa fille Charlotte Gainsbourg, quand celle-ci a fait une hémorragie cérébrale en 2007. Jane ne veut pas confirmer, même s'il y a parfois des références nettes à ses parents et à ses trois filles qu'elle appelle joliment «mes vagabonds enfants» ... «Je veux pas donner toutes les réponses. Moi, je sais bien que quand je chante Je suis au bord de ta fenêtre, c'est Sèège qui est sur le bord de ma fenêtre, mais j'ai changé le sexe du fantôme dans la chanson, comme ça, quand vous l'écoutez, ce sont vos fantômes que, peut-être, vous imaginez, non?»

Piano et voix aussi, mais aussi contrebasse, pour Madame, une magnifique valse déchirante où Jane parle du passage du temps sur son corps: «J'ai voulu garder une ambiguïté, là aussi, même si, tout ça, tout ce que je raconte, c'est moi, aujourd'hui.... Mais quand j'ai demandé à un de mes amis de relire mes textes pour voir si ça allait, il m'a expliqué tout autre chose sur ce texte, et j'ai laissé l'ambiguïté, je voulais pas le décevoir (rires), et puis, ça voulait dire que ça parlait aussi aux hommes. Parfois, par contre, je suis plus... claire.»

Comme dans Oh, comment ça va, une incroyable chanson où Jane rencontre une ancienne flamme, s'intéresse poliment à sa vie... avant de lui souhaiter toutes les calamités possibles, y compris un cancer de la prostate! «Je sais que c'est tellement nul, éprouver ces sentiments, mais j'entendais toute une chorale de filles derrière moi qui éprouvaient la même chose, qui avaient certainement envie d'être aussi nuuuuulles (rires), et en plus, Édith a eu la super idée de s'inspirer de la ligne mélodique de Walk On the Wild Side de Lou Reed! En fait, j'ai failli la virer, cette chanson, parce que j'avais la trouille, mais toutes les copines ont dit non, alors...»

Alors, Jane a dit oui. À cette chanson, et à ses chansons à elle. Car Jane chante et écrit, elle non plus...