C'est une première dans la vie de la journaliste qui signe ces lignes: on lui demande de confirmer que l'entrevue avec Jamil paraîtra bien le 11 octobre. Oui, pourquoi? Pour que le verbicruciste Michel Hannequart puisse publier en même temps, dans La Presse, sa fameuse «Grille des mordus» inspirée de Jamil lui-même! Une manière vraiment pas banale de souligner la parution du troisième album (en quatre ans!) de celui qui vient de remporter le premier trophée de sa vie!

Ce trophée, il lui a été remis par l'Association des jeunes professionnels marocains du Québec pour souligner sa contribution à «l'intégration et à l'image positive de la communauté maghrébine» dans la vie professionnelle québécoise, catégorie «art et culture». Et c'est vrai que Jamil fait plus que sa part en la matière: copropriétaire du Petit Medley et du Gainzbar, rue Saint-Hubert, il chante et se produit en spectacle depuis quatre ans («Je suis un jeune chanteur», minaude en rigolant l'homme de 47 ans), écrit des chansons (Bar Tendresse pour Éric Lapointe, Mon coeur est un numéro pour Marie-Élaine Thibert...), séduit un Dick Rivers ou un Patrick Sébastien en France par son verbe vert et clair...

 

Vert, clair et pas nécessairement subtil, c'est vrai. Son troisième opus s'intitule Je dure... Très, très dur.... On aura tous compris le sens premier de la chose. Mais il y en a un second: c'est vrai qu'il tient le coup, Jamil, à travers vents, marées, préjugés, modes, tendances, etc. Son album témoigne de l'incroyable creuset sur deux pattes qu'il est, amalgame étrange de Québec (il est né à Montréal), du Maroc (son père l'est) et de France (il y a beaucoup vécu), véritable poutine musicale au camembert et à l'harissa. Tenez, Poubelles est un hommage à Dédé Fortin des Colocs, Daing Daing est un air résolument nord-africain («Quand un Marocain fredonne, il ne fait pas «la la la», il fait «daing daing daing» !), Les pendules à l'heure est franchouillarde... Quant à Spray Net, c'est une espèce de petit film noir parlé, à la Jean Gabin, Est-ce que tu m'aimes est une chanson touchante et universelle, et Lulu est faite expressément pour les Français: «Je commençais mon spectacle à Pigalle avec Lulu, écrite et chantée en joual, et je voyais les spectateurs se regarder, effondrés: «Ça va pas être comme ça tout le long?» explique-t-il en hurlant de rire. J'adore faire des trucs comme ça, je suis sûr que je suis le premier parolier francophone à faire rimer «diplôme» et «condylome» (dans Spray Net)». Qu'ajouter, sinon qu'il fait aussi une reprise très blues des Spermatozoïdes de Ricet Barrier et que Les boules bleues parlent de ce à quoi vous pensez - c'est aussi une des chansons les plus rigolotes qui soient, surtout quand la Schtroumpfette bleue fait son apparition!

«Ce qui compte, c'est que tout serve le propos, reprend Jamil sérieusement. Je choisis la musique et le type de voix que je vais prendre toujours pour servir le propos. Je travaille avec trois imageries: la nord-africaine, la française, la québécoise. Quand je suis allé faire des spectacles à Pigalle, à Paris (30 soirs, en mars et avril dernier), ça m'a fait plaisir de voir que les Français «catchaient» tout, ça m'a rassuré sur mon écriture. J'ai commencé par des salles de 12 spectateurs - Henri Salvador est mort le jour de ma première... -, j'en avais 150 à la fin. J'ai fait la première partie de Michel Boujenah à l'Olympia, un soir, et l'émission de Patrick Sébastien. Ce que ça m'a apporté? Je crois que je commence à définir mon style. On entend mes chansons et on se dit, ça, c'est du Jamil.» C'est du Jamil aussi qu'on entendra à l'Olympia de Montréal, les 13 et 14 novembre prochain. Et tant que ça dure, très, très dur...