Grâce à The Stand Ins, cinquième album du groupe texan Okkervil River, le chanteur et guitariste qui est à sa tête Will Sheff se révèle être un des plus brillants auteurs-compositeurs de la relève indie rock américaine. Le groupe sera en concert à la salle Les Saints, ce soir.

Qui a dit qu'elle était simple, la vie d'artiste? Will Sheff s'est penché là-dessus, avec tout le raffinement que l'on reconnaît au musicien et à ses collègues d'Okkervil River, groupe capable de pondre des brûlots de pop-rock colorée accrocheuse et mélodieuse qui dorent la pilule à des textes plus articulés.

 

Les petites gloires et grandes misères d'un (aspirant) fameux groupe rock indie constituent les thèmes principaux de The Stand Ins et de l'album précédent, The Stage Names, paru l'an dernier, aussi sur le label Jagjaguwar - une maison de disques par ailleurs à l'affût du talent canadien, ayant mis sous contrat les Black Mountains, The Besnard Lakes, Sunset Rubdown et Swan Lake.

«Il y a assurément un lien entre ces deux albums», confirme Sheff, qui n'a pas seulement à voir avec les (très belles) pochettes; mettez-les l'une au-dessus de l'autre, et l'image de la première se prolonge dans la deuxième.

«Ces deux disques forment un tout, les personnages principaux apparaissant sur chacun des disques, certaines idées sont approfondies sur le deuxième disque. C'est vraiment un album double cassé en deux... J'aurais pu les lancer conjointement. Ce n'est pas que je n'aime pas les albums doubles, mais je crois que l'expérience finit par être lassante, du point de vue de l'auditeur», nous explique le sympathique - et ancien critique - Will Sheff, attrapé au téléphone avant un test de son dans une obscure salle d'un bled de la Caroline-du-Nord.

«L'endroit s'appelle The Soapbox Laundro-lounge, et c'est autant une salle de spectacle qu'une buanderie! Pour un groupe en tournée, c'est pratique. Tu peux donner un concert tout en lavant des vêtements...»

Tiens donc. On pourrait presque croire que le Soapbox en question est le décor approprié pour la mise en scène étalée dans la suite The Stand Ins/The Stage Names. Les tribulations qui y sont racontées, les observations sur le monde de la musique, ne sont pas exprimées du point de vue de la rock star adulée. L'auditeur plonge plutôt dans le monde d'une rock star désillusionnée, un col bleu de la scène indépendante qui a bûché pour sortir de l'ombre, mais qui cultive un certain cynisme face à ce milieu.

«Tu vois, depuis la sortie du premier des deux albums, Okkervil River a atteint un niveau de succès que je n'espérais pas, explique Sheff. Or, ces chansons-là ont été composées alors que nous peinions à nous faire un nom dans ce milieu. Ça a inspiré les thèmes de ces albums d'une drôle de manière, puisque la vision d'un groupe rock populaire que je décris est une sorte de fantasme de ce que le groupe pouvait devenir. Les disques donnent une vision fictive d'Okkervil River, une vision assez sombre et mégalomane. C'était assez drôle de nous mettre en scène de manière aussi négative.»

Heureusement, Okkervil River n'a ni l'excentricité ni la prétention de sa version fictive. Plutôt terre-à-terre, même, le Will Sheff, un auteur-compositeur fort estimé des observateurs de la scène indie rock.

«M'en fous, rétorque-t-il. Mésestimé, surestimé, ça ne m'importe pas. Tout ce qui compte, c'est le plaisir d'écrire. L'autre jour, nous faisions de la route dans l'autobus. Les gars étaient devant en train de prendre un coup et de rigoler. Moi, j'étais derrière en train d'écrire pour ce projet d'émission de télé où nous sommes invités - l'animateur nous poserait huit questions, et je voulais écrire huit réponses en forme de chansons. Et franchement, je m'amusais autant qu'eux, même si je n'avais pas de bière!»

Okkervil River, ce soir, 20h, à la salle Les Saints (30, rue Sainte-Catherine Ouest)