Le Français Jean-Jacques Perrey a droit à son chapitre dans l'histoire de la musique pop pour avoir lancé en 1966, et en collaboration avec le compositeur américain Gershon Kingsley, le tout premier album de musique pop électronique, The In Sound From Way Out. À l'aube de ses 80 ans, M. Perrey offre ce soir un concert - son premier chez nous depuis 1967! - au Cabaret, à l'invitation de Pop Montréal.

Son oeuvre est faite de blip! blip!, de ritournelles enfantines, de vie extra-terrestre et d'amour virtuel - une de ses chansons s'intitule Computer Love. En une vingtaine d'albums, dont le classique Moog Indigo (1970), Moog Acid (2007, avec le Britannique Luke Vibert et le tout récent Destination Space, enregistré avec son collaborateur Dana Countryman, Jean-Jacques Perrey s'est taillé une place de joyeux iconoclaste et visionnaire coloré de la pop instrumentale.

 

Le téléphone sonne quelques coups, puis une voix souriante répond: «Bonsoir Philippe!», dit Jean-Jacques Perrey en rigolant, assuré de m'avoir pris au dépourvu.

Tout le personnage se résume dans ce détail. Au bout du fil, M. Perrey est attachant, d'un dynamisme faisant mentir son âge vénérable, généreux de son temps et de ses nombreuses anecdotes - cet homme a une mémoire phénoménale!

«Mon dernier concert à Montréal? C'était en 1967, mais pas pendant l'Expo. On m'avait invité à faire des démonstrations de l'Ondioline, j'ai tenu l'affiche pendant deux semaines au club du Queen Elizabeth!»

L'ondioline? Inventé par le compatriote Georges Jenny en 1941, il s'agit d'un des nombreux instruments électroniques à voir le jour avant l'invention, plus pratique et abordable, du synthétiseur de Robert Moog. Alors étudiant en médecine, Jean-Jacques Perrey découvre les jolies sonorités de ce proto-synthétiseur à la radio.

«Quand j'étais gosse, le père Noël m'avait apporté un accordéon, ça a été mon premier instrument. L'ondioline, je l'ai découvert pendant mes études. J'ai été déçu par la médecine - je n'aimais pas voir le sang couler!»

«Et puis un soir, j'ai entendu M. Jenny faire une démonstration à la radio de son instrument. Quand j'ai entendu ça, je me suis renseigné, puis je l'ai contacté. Je lui ai dit que je voulais faire de la musique, que j'aimerais essayer l'ondioline. Il a accepté de m'en prêter un, en me donnant une petite liste d'instruments que je devais essayer d'imiter - la cornemuse, le violon, etc. Trois mois plus tard, je suis revenu le voir en lui disant: je suis prêt». Démonstration séance tenante, Perrey convainc Jenny et devient son représentant des ventes et démonstrateur officiel de l'ondioline.

Perrey, l'ondioliniste, venait sans le savoir d'obtenir son passeport pour la gloire. Son métier de démonstrateur l'a fait découvrir des Charles Trenet (on l'entend jouer sur L'Âme des poètes, aux côtés de Django Reinhardt!), Édith Piaf (il l'accompagna trois semaines durant à l'Olympia de Paris) et Jean Cocteau, entre autres.

«Jean m'a dit un jour: tu devrais tenter ta chance aux États-Unis, se rappelle Perrey. Je lui ai répondu: mais je ne peux pas, ça coûte beaucoup de sous pour aller aux États-Unis. Il m'a alors dit: ne t'inquiète pas, je m'occupe de tout». Trois jours plus tard, Piaf lui louait deux heures de studio chez Pathé-Marconi pour qu'il enregistre un démo, délivré au producteur new-yorkais Caroll Bratman, qui l'invite à travailler dans son studio. Jean-Jacques Perrey arrive à New York en mars 1960.

«J'y ai fait la connaissance de Gershon Kingsley, on a fait deux albums ensemble», les séminaux The In Sound From Way Out et Kaleidoscopic Vibrations, «puis quelques autres ensuite, que j'ai enregistrés tout seul, ou encore avec Angelo Badalamenti - il s'appelait à l'époque Andy Badale».

Ces deux albums enregistrés avec Kingsley marqueront l'histoire de la musique pour plusieurs raisons. D'abord, la technique: enregistrés à l'aide de synthétiseurs Moog et de l'ondioline, Perrey innove en utilisant des bandes pré-enregistrées - découpées, recolées, manipulées - pour tisser un imaginaire sonore qui frappe encore aujourd'hui. Ce faisant, Perrey amène à la pop music une technique développée par le compositeur et théoricien de la musique française Pierre Shaeffer (que Perrey avait d'ailleurs connu à Paris) et demeurée dans les cercles académiques.

D'autre part, son oeuvre esquisse un univers futuriste, où les hommes tombent en amour avec les robots. «La science-fiction, pour moi, c'est une deuxième vie. J'ai beaucoup lu de science-fiction - j'ai même l'impression que c'est Jules Vernes qui m'a donné envie de faire ce que je fais. Cette façon de penser, de fabriquer l'avenir, m'a beaucoup impressionné. C'était un visionnaire, tous ceux qui aiment la science, d'abord, et la fiction, le sont.»

Cet imaginaire, transposé dans sa musique, aide certainement à vous garder si jeune, non? «J'ai très peur de vieillir, répond-il. Si j'arrête de faire de la musique, je sens que je vais mourir. C'est pourquoi je continue.»