Isabelle Blais ne blague pas quand elle dit que le groupe Caïman Fu n'est pas un passe-temps musical entre deux tournages. La preuve? Le quintette revient plus soudé que jamais, avec un troisième album plus cohérent et un batteur qui fait désormais officiellement partie de l'équipe.

Mathieu Massicotte arrive le premier au rendez-vous. Après la musique éclatée de Malade Mantra, une excursion du côté du Maghreb et du reggae (Geoulah), le batteur est devenu membre à part entière de Caïman Fu, un groupe touche-à-tout à qui on a parfois reproché de trop s'éparpiller - est-ce du rock progressif, du blues, de la chanson, du jazz ou tout cela en même temps? -, voire de ne pas avoir de personnalité musicale propre. Un reproche qui devrait leur être adressé moins fréquemment après l'écoute de leur troisième album, Drôle d'animal.

 

«Nos chansons ont été créées collectivement. Évidemment, Isabelle (Blais) écrit les textes, mais les musiques sont nées de jams, de sessions intenses, depuis l'automne 2006. On a choisi de prendre notre temps, on devait enregistrer aux Fêtes l'an dernier, mais on trouvait qu'il fallait retravailler les arrangements, la structure des tounes. À partir de décembre, on a vraiment fait un travail acharné et ç'a donné de bons résultats.»

Un premier album peut être objet de curiosité, surtout de la part d'un groupe dont la chanteuse est une star du cinéma, de la télé et du théâtre. L'intérêt initial justifie souvent la création d'un deuxième disque. Le troisième album est généralement un disque-charnière, la preuve indéniable que ce groupe entend bien rester dans le paysage musical québécois.

«On est conscients du fait que le troisième album est important, mais on n'a pas modifié notre façon de concevoir la musique, dit Isabelle Blais, qui vient de se joindre à la conversation. Sauf que celui-là, on l'a fait plus ensemble que les autres. Avant, on improvisait toujours un peu, mais chacun amenait une idée plus ou moins construite. Cette fois, on a improvisé tout le long en enregistrant toutes nos répétitions, on a sélectionné les idées qu'on aimait et on les a retravaillées.»

La chanteuse participe pleinement à cet exercice de création. «Moi aussi, j'improvise mes mélodies en même temps qu'eux, explique-t-elle. Les instruments font des notes; moi, il faut que je chante des paroles inventées jusqu'à ce qu'elles deviennent des paroles.»

La cohérence de ce nouvel album, trempé dans le rock pesant, elle l'attribue au fait que la plupart des morceaux sont nés dans une période de temps donnée au cours de laquelle le groupe jammait. «C'est vraiment un album composé d'une traite», dit-elle en ajoutant toutefois que le côté éparpillé de Caïman Fu est une des forces du groupe en spectacle: «On ne s'ennuie pas, on transporte les spectateurs sans les engourdir toujours avec la même chanson.»

Le chanoine grivois

Quand elle écrit ses textes, Isabelle Blais se «casse le bicycle» pour éviter les lieux communs, pour trouver les images qui rendront bien ses idées «très simples». Pour la première fois, elle a emprunté des textes d'autres auteurs et pas n'importe lesquels: deux poètes symbolistes français du XIXe siècle, Jean Lahor et Germain Nouveau, et Gabriel Charles de L'Attaignant, un chanoine du XVIIIe siècle plutôt dégourdi pour son époque. Son texte Le mot et la chose «ne dit rien, mais suggère tout», mentionne la chanteuse qui a trouvé ces trois textes à la même source.

«Lors d'un spectacle à Sorel, je me suis fait donner un recueil de poèmes d'amour par un drôle d'animal, raconte-t-elle. Un livre brodé or avec un petit couvert en soie rouge avec la mention «Seulement pour toi». Je n'ai pas l'habitude de faire ça, mais en écrivant, je me suis dit que je devrais m'ouvrir à d'autres textes. J'ai retrouvé ce recueil de poésie, je ne l'avais pas ouvert en un an, et je suis tombée sur ces trois poèmes-là qui correspondaient parfaitement avec la mélodie et la rythmique que j'avais. C'est fou!»

Un congé de trois mois

Caïman Fu fera une demi-douzaine de shows-lancements pour marquer la sortie mardi de Drôle d'animal, dont un à La Tulipe, le 2 octobre, mais sa rentrée montréalaise se fera au printemps. «Je suis enceinte, c'est la première fois qu'on arrête vraiment pour moi, je n'ai pas le choix, dit Isabelle Blais. En avril, on recommence. Je me suis laissé trois mois de congé après l'accouchement.»

Quoi qu'on en pense, l'horaire de travail de Caïman Fu n'est pas établi en fonction de celui de sa chanteuse-comédienne. «Je ne suis pas quelqu'un qui tourne beaucoup, se défend-elle. J'ai l'air très présente médiatiquement, mais dans le fond, mon gros contrat, c'était (l'émission) C.A. que j'ai tournée pendant trois mois, donc environ 40 jours, il m'en restait 50 de libres.»

«C'est sûr que le fait qu'Isabelle ait une carrière qui marche très bien, ça nous permet d'explorer d'autres affaires, donc ça n'a jamais été un problème», convient Mathieu Massicotte.

«En tout cas, s'il y en a un qui n'est pas là, ce n'est pas moi!» conclut la chanteuse en riant.