Dans le cercle restreint des maestros, il y a les stars établies et il y a les autres: ceux qui attendent en coulisses, baguette sous le bras, ceux qui montent lentement mais sûrement. À 30 ans, Jean-Philippe Tremblay, cofondateur de l'Orchestre de la Francophonie canadienne, est un nom à surveiller. Mardi, il dirigera l'Orchestre Philharmonique des Amériques à New York avant d'aller diriger l'Orchestre de chambre de Vienne, puis l'Orchestre national de France, à Paris.

À Athènes, Jean-Philippe Tremblay s'est retrouvé tout seul sur scène devant une salle vide et un orchestre absent. Le concert devait pourtant débuter incessamment, mais personne n'avait prévenu le jeune chef que les Grecs ont un sens du temps un brin élastique et qu'au concert, les musiciens, comme le public, arrivent immanquablement avec une bonne demi-heure de retard. À Winnipeg, le contraire s'est produit. Croyant que le concert débutait à 20h, comme la veille, le jeune chef s'est amené à 15 minutes de la levée du rideau. Manque de chance, le concert avait été fixé à 19h30. Lorsque Jean-Philippe Tremblay a poussé la porte de la salle de concert, le public et les musiciens de l'orchestre ont tous tourné la tête vers lui comme s'ils l'attendaient depuis 100 ans.

 

Finalement, à Indianapolis, alors qu'il répétait avec l'orchestre symphonique de la ville, un corniste s'est levé subitement et a lancé d'un air exaspéré: «I can't take this anymore.» Je n'en peux plus! Il a pris ses cliques, ses claques et son cor et a claqué la porte de la salle de répétition. Incrédule, le chef s'est tourné vers le premier violon, qui l'a assuré que la crise de nerfs du corniste n'avait rien à voir avec sa façon de diriger, mais qu'elle était le fruit d'un long contentieux avec un autre musicien. Ouf!

Enfoncé dans un fauteuil du bar de l'hôtel Nelligan, à un jet de pierre de son appartement dans le Vieux-Montréal, Jean-Philippe Tremblay fouille sa mémoire à la recherche d'aventures qui lui sont arrivées au cours de sa courte carrière de chef. À Montréal, il ne se souvient d'aucun incident particulier, peut-être parce qu'il n'a pas souvent été le chef invité des grands orchestres de la métropole. Tremblay n'a dirigé l'OSM que deux fois en carrière, dont une fois à l'âge de 22 ans en remplacement de Charles Dutoit, et il a dirigé l'Orchestre Métropolitain une seule fois, l'hiver dernier à la basilique Notre-Dame, lors d'un concert privé pour une compagnie pharmaceutique.

Pour le reste, la vie de Jean-Philippe Tremblay comme celle de n'importe quel autre chef, se résume à prendre l'avion, à atterrir dans une ville étrangère et à s'enfermer pendant des heures dans une chambre d'hôtel pour lire et annoter des partitions avec, en prime, valises perdues et queues de pie louées en catastrophe. Mais le jeune chef né à Chicoutimi, qui a étudié sous la baguette d'André Prévin et de Seiji Ozawa, n'échangerait sa vie contre rien au monde.

Vocation tardive

Pour certains, diriger un orchestre est une vocation. Habituellement, cette vocation naît de bonne heure, pour ne pas dire au sortir du berceau, alors que le futur maestro cherche à diriger tout ce qui tombe sous sa baguette. Poupées, oursons, amis imaginaires, tout devient prétexte à monter sur une chaise pour imposer sa loi. Jean-Philippe Tremblay a pour sa part mis 15 années avant d'avoir un coup de foudre pour la direction d'orchestre. Mais aussitôt la baguette magique tombée entre ses mains, il a vite rattrapé le temps perdu.

«Je me souviens encore très précisément de la scène. Je jouais du violon alto dans l'ensemble du Conservatoire de Chicoutimi, raconte-t-il. Celui qui devait nous diriger a eu un empêchement de dernière minute. En apprenant la nouvelle, j'ai proposé assez spontanément de le remplacer. On devait jouer l'ouverture de L'Italienne à Alger de Rossini. Je me suis levé et me suis tourné vers les musiciens et ça n'a pas pris 10 secondes avant que j'aie la piqûre. Depuis ce temps-là, chaque fois que je dois diriger cet opéra, ça m'émeut de penser que c'est la toute première pièce que j'ai dirigée.»

À 15 ans, Jean-Philippe Tremblay avait déjà 10 ans de violon alto dans le corps. Sa famille n'était pas plus musicienne qu'il le faut. Son père, Daniel Tremblay, est un homme d'affaires qui a fait fortune en ouvrant des établissements de restauration rapide Mike's au Saguenay. Sa mère, Lise Côté, travaillait pour l'Abitibi-Price avant de revenir à la maison élever Jean-Philippe et sa soeur, qui est aujourd'hui avocate. Ce qui a fait la différence, c'est sans doute la bonne ambiance musicale qui règne à Chicoutimi, une pépinière de grandes voix (Marie-Nicole Lemieux, Julie Bouliane, le baryton Jean-François Lapointe) et une ville qui, malgré sa petite taille, est pourvue d'un orchestre, d'une saison régulière de concerts et d'un Conservatoire de musique plutôt bien coté. Jean Philippe y a fait ses classes. Inscrit au secondaire au programme sport-études, il a complété à Chicoutimi un double DEC en économie et musique avant de prendre la route de Montréal.

À 17 ans, l'aspirant chef s'est mis à courir, non pas les concours mais les camps d'été où les petits et grands maestros viennent dispenser leur savoir. Trois étés de suite, il a fait le prestigieux camp du Pierre Monteux School, dans le Maine, une école vouée aux chefs, avant d'être accepté comme stagiaire au non moins prestigieux camp de Tanglewood et d'assister le chef André Previn. Cette année-là, 400 jeunes musiciens du monde entier ont soumis leur candidature. Une quinzaine ont été invités à Boston pour une deuxième audition. Trois d'entre eux ont été choisis dont un jeune aspirant chef de Chicoutimi.

Sources d'influence

Entre-temps, Jean-Philippe Tremblay a auditionné à New York pour être accepté au Royal Academy of Music de Londres. Une fois de plus, il a été choisi et a même remporté une bourse couvrant les droits de scolarité qui s'élèvent à environ 60 000$ par année. À Londres, il a renoué avec Charles Dutoit, pour lequel il avait joué de l'alto à Chicoutimi. L'ex-chef de l'OSM ne lui a pas donné de cours de direction en tant que tel. Reste qu'il a été une importante source d'inspiration. Une violoniste qui a vu Jean-Philippe diriger à ses débuts affirme qu'il ressemblait, par sa gestuelle, à un mini-Charles Dutoit. Tremblay est surpris par la remarque, mais il concède qu'il a vu Dutoit diriger si souvent qu'il se pourrait qu'il ait inconsciemment assimilé la gestuelle du maestro. Mais Dutoit n'est pas la seule source d'inspiration. À l'été 2000, à Tanglewood, Jean-Philippe Tremblay a fait une rencontre déterminante qui l'a installé dans la salle d'attente des grands.

«C'était le dernier été du chef Seiji Ozawa à Tanglewood. Il passait deux journées complètes par semaine avec nous. Je suis devenu son assistant et il m'a invité à diriger l'Orchestre symphonique de Boston. Je me suis alors fait plein de contacts. Les agents se sont mis à me tourner autour. J'ai été invité à diriger l'Opéra de Londres. Bref, non seulement il m'a inspiré, il m'a mis sur la mappe.»

Huit ans plus tard, Jean-Philippe Tremblay dirige une cinquantaine de concerts par année dont plus de la moitié sur la scène internationale. «Des matins, raconte-t-il, je me réveille et je me demande: c'est quoi exactement, le métier de chef? Bien sûr, il n'y a pas qu'une réponse. Mais disons qu'à mes yeux, un chef, c'est d'abord quelqu'un qui a quelque chose à dire et une vision musicale à proposer; une vision authentique qui vient de son coeur, s'entend. Le chef métronomique, autoritaire et sans émotion, ça ne marche plus. Il faut inspirer les musiciens de l'orchestre et comprendre en même temps que chaque orchestre a sa personnalité, sa couleur, sa tradition.»

Jean-Philippe Tremblay espère que d'ici cinq ans, il sera le chef attitré d'un orchestre, peu importe où et peu importe lequel. En attendant, il se prépare pour New York, Vienne et Paris et rêve qu'un jour, au lieu de prendre un avion pour aller diriger un orchestre, il n'aura qu'à prendre un taxi ou à traverser la rue.