Se frotter à l'oeuvre de Richard Desjardins n'est pas une mince affaire. Encore moins quand il s'agit de lui rendre hommage. Le réalisateur Philippe B et les interprètes qui ont puisé dans le répertoire de l'idole abitibienne sur Desjardins ont affronté ce défi colossal avec un mélange d'admiration... et de peur.

«Aussi important que Barbara»

Quand Steve Jolin lui a proposé de réaliser un album hommage à Richard Desjardins, Philippe B n'a pas hésité même s'il était occupé à faire son propre album, La grande nuit vidéo, qui paraîtra le 12 mai.

«Si ça n'avait pas été le disque de Richard, je n'aurais peut-être pas accepté un contrat de réalisation aussi complexe, dit-il. Mais je ne voulais pas passer à côté.»

Comme Jolin, mieux connu comme le rappeur Anodajay, Philippe B est un gars de Rouyn-Noranda, le pays de Richard Desjardins, son idole en chanson au même titre que Leonard Cohen, le chantre de son autre ville, Montréal.

«Richard, c'est quelqu'un qui est aussi important que Barbara mais, pour moi, Barbara existe dans un univers très abstrait, comme Gainsbourg, comme Jacques Brel, dit-il. Desjardins, c'est du même niveau mais il parle du chemin de la McDonald et moi je sais c'est quoi le chemin de la McDonald. Il n'a pas besoin de m'expliquer que c'est le chemin de la dompe, j'y suis allé souvent.»

Steve Jolin a lancé ce projet qui paraît sur son label 117 Records et il a dressé une liste d'invités avec Philippe B qui a par la suite assigné une chanson à chacun d'eux. Au pays des calottes allait comme un gant à Avec pas d'casque, trouvait le réalisateur tandis que d'autres artistes avaient déjà interprété des chansons précises de Desjardins: Les soeurs Boulay, L'engeôlière, Safia Nolin, Va-t'en pas, et Bernard Adamus, Les mammifères.

«Je ne me suis pas battu contre ça, ça fonctionne. Dans les autres cas, c'est les chansons que je leur ai proposées. On voulait élargir un peu et ne pas prendre juste des chansons de ses deux premiers albums», affirme Philippe B.

Ainsi, Philippe B a choisi de chanter lui-même Y va toujours y avoir, une chanson de Boom Town Café, l'album du groupe Abitibi paru en 1981.

«C'est un album où il y a des chansons ou des versions moins connues, mais moi, je le connais de bord en bord. Donc j'ai un attachement particulier comme quand on est ado, qu'on écoute du rock alternatif et qu'on est fier d'aimer un disque que personne d'autre ne connaît. Richard a plusieurs chansons engagées mais Y va toujours y avoir l'est peut-être plus par rapport au discours d'aujourd'hui sur le 1 %.»

Différentes approches

Avant même de lancer ce projet, Steve Jolin avait mis Richard Desjardins au parfum et l'«hommagé», qui est présentement en France, a pu suivre à distance les étapes de la production de l'album.

«Il est au courant, il a suivi le processus, il a écouté l'album mais il n'était pas impliqué, nuance Philippe B. Je n'ai pas fait tous les choix pour plaire à Richard, mais je savais qu'en parallèle il recevait des courriels à mesure que ça avançait. Juste pour être sûr que ça se fasse dans le respect.»

Avec des interprètes aussi différents, le réalisateur n'allait pas privilégier une seule et même approche. Les réinventions pouvaient très bien cohabiter avec des relectures plus conservatrices.

«Il faut que l'interprète la fasse vraiment à sa manière. Si cette manière est proche de Desjardins, ben allons-y.»

«Klô Pelgag, il n'y a pas de raison qu'elle fasse une toune qui ressemble à Richard. Fred Fortin? Vas-y, fais du Fred Fortin! Mais si Les soeurs Boulay, Keith Kouna et moi on est plus proches de Richard, ainsi soit-il.»

Certains s'en sont remis aux services du réalisateur-musicien et de ses acolytes en studio, mais d'autres comme Fred Fortin et Klô Pelgag, qui chante Les yankees avec Philippe Brach, ont créé la chanson de leur côté et la lui ont envoyée par la suite.

«Je voulais donner Les yankees à quelqu'un qui joue du piano pour s'éloigner de la partition de guitare de Richard qui est tellement iconique. Et j'ai jumelé Klô Pelgag avec Philippe Brach pour faire ressortir le côté théâtral de cette chanson à deux personnages.»

Le défi n'était pas moins considérable pour les deux jeunes interprètes.

«C'est une chanson vraiment intimidante, comme toutes ses chansons j'imagine, et je trouvais ça très complexe de me l'approprier, reconnaît Klô Pelgag. J'avais de la difficulté à dormir, la chanson m'obsédait. Finalement, on a mis trois jours complets à la faire. Philippe [Brach] était comme moi lui aussi: il avait vraiment peur.»

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CHANSON. Desjardins. Artistes variés. 117 Records.

Photo Christian Leduc, fournie par 117 Records

Philippe B est un gars de Rouyn-Noranda, le pays de Richard Desjardins, son idole en chanson au même titre que Leonard Cohen, le chantre de son autre ville, Montréal.

Les artistes de Desjardins

Safia Nolin

Desjardins pour elle

«Pour moi, c'est le plus grand poète au Québec. C'est drôle parce que quand je pense à des musiciens qui ont une plume incroyable, je pense tout de suite à Desjardins puis, après, à Philippe B. J'ai pas vraiment grandi en écoutant Desjardins. Ma mère était fan mais mon père ne vient pas du Canada et c'est surtout lui qui choisissait les chansons qui jouaient donc j'ai connu Desjardins en grandissant et en faisant de la musique.»

Sa chanson: Va-t'en pas

«C'est ma chanson préférée de Desjardins, la première de lui que j'ai comprise, genre "what the fuck, il écrit en tabarnak!" Je chante fort là-dessus, c'est pas très subtil. C'est fou parce que Desjardins, c'est comme l'inverse: il chante mais il ne chante pas, il murmure un peu. Je pense que c'est un des covers que j'ai faits dans ma vie qui est le plus chanté.»

Fred Fortin

Desjardins pour lui

«J'étais au cégep à Alma, j'avais 18 ans et je suis allé prendre une bière dans un bar à Alma. Là, Desjardins a commencé sa deuxième partie de spectacle et je l'ai eu dans la face solide ! [...] Un électrochoc qui m'a ouvert des portes dans la créativité pour me motiver à faire ça. C'est inatteignable comme niveau mais au moins ça donne une idée qu'il y a plusieurs avenues dans l'art de la chanson.»

Sa chanson: Tu m'aimes-tu

«Quand on a parlé du projet, j'ai accepté rapidement puis j'ai réalisé l'ampleur de la tâche. Ce qui a fait la chanson, mis à part les paroles et la musique, c'est le rendu de Desjardins qui est assez incroyable. Tu pars avec ces références-là et tu te dis "faut que je la chante, moi". [...] Je me sentais vulnérable quand je l'ai faite. C'est un peu maladroit et tout croche mais ça vient avec moi aussi.»

Matiu

Desjardins pour lui

«Richard Desjardins, moi, j'ai baigné là-dedans. Chez nous, sur la communauté de Maliotenam, c'est une radio communautaire, donc l'animateur fait jouer ce qu'il veut et, depuis que je suis tout petit, on en écoute du Richard Desjardins. Il est très près de la nature lui aussi et ça rejoint pas mal la mentalité autochtone parce que nous, la Terre c'est notre mère et il faut en prendre soin.»

Sa chanson: Le bon gars

«Dans les partys, quand je prenais ma guitare, j'en faisais une ou deux de Desjardins et souvent c'était Le bon gars ou Le chant du bum, ce genre de toune-là. Si on m'avait demandé de faire Tu m'aimes-tu, je ne pense pas que j'aurais été capable. L'approche qu'on a eue, rockabilly, un peu blues, me rejoint ben gros. J'aime l'autodérision et l'humour de Desjardins dans cette chanson. Faut pas tout prendre au premier degré.»

Koriass

Desjardins pour lui

«C'est un peu un modèle d'artiste idéal autant au niveau de l'intégrité que de ses opinions sociales. Il paraît vraiment dur quand il parle, tu vois qu'il est très arrêté sur certaines affaires mais il a une énorme sensibilité dans sa poésie, dans le choix de ses mots. Il n'y a personne qui fait des phrases aussi belles que lui. Il est tellement bon que c'est complexant pour un artiste d'écouter ce qu'il fait.»

Sa chanson: M'as mettre un homme là-d'ssus

«Je suis un rappeur et on m'a proposé cette chanson parce que ça convenait à mon style, dans la rythmique. Ça sonne comme une chanson rap, finalement. Ma ligne préférée, c'est quand il dit "Aller au ciel ! Chus un peu sceptique/J'm'en vas aller là quand j'aurai su/Qu'est-ce que l'bonyeu a contre l'Afrique." C'est une façon de remettre en question l'existence de Dieu mais d'une façon humoristique. Justement le genre de ton qui me plaît beaucoup.»

Keith Kouna

Desjardins pour lui

«C'est le plus grand auteur-compositeur francophone vivant actuellement. Renaud m'a énormément marqué lui aussi mais je trouve qu'il a perdu un peu de lustre et de hargne, de vie. Desjardins, lui, n'a rien perdu comme le prouve sa nouvelle chanson Vimy. Une de ses grandes forces, c'est sa capacité de créer et d'incarner des personnages qui ont une dimension historique, intemporelle, universelle. Il y a énormément d'humanité dans son oeuvre.»

Sa chanson: Jenny

«Moi, ma chanson de Desjardins c'est Nataq. C'est une des plus grandes chansons francophones. Mais Jenny, c'est une immense chanson aussi, de par sa simplicité tout autant que par la puissance du texte. C'est toute la noblesse qu'il donne au personnage du travailleur ordinaire avec sa femme, la puissance de l'amour encore intacte après toutes ces années, la vie dure qu'il a vécue.»

Klô Pelgag

Desjardins pour elle

«Desjardins, c'est un des plus grands poètes encore vivants. J'admire vraiment sa singularité, son intelligence des mots, son charisme, son respect. Sa voix est elle aussi singulière, elle donne vraiment un sens nouveau à chaque mot qu'il prononce, une qualité d'interprétation vraiment rare aujourd'hui, intemporelle. C'est un bon exemple de qualité artistique et d'intelligence qui a réussi à rejoindre le coeur des Québécois un peu comme un monument historique de fierté et d'identité.»

Sa chanson: Les Yankees (avec Philippe Brach)

«Il y a vraiment deux aspects de Desjardins dans cette chanson : son côté hyper lyrique et poétique dans des grandes chansons qui se déploient de façon très somptueuse et son côté conteur qui est presque country, et entraînant. Il y a un aspect très raconté, quand même réaliste, qui parle d'un fait historique mais amené dans le rêve et la fabulation, imaginé, qui me ressemble plus aussi. C'est ce qui rend cette chanson super intéressante.»

Également sur l'album

Avec pas d'casque: Au pays des calottes

Bernard Adamus: Les mammifères

Les soeurs Boulay: L'engeôlière

Yann Perreau: Dans ses yeux

Émile Bilodeau: Le chant du bum

Saratoga: Quand j'aime une fois j'aime pour toujours

Image fournie par 117 Records

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