Le cas est plutôt rare, voire rarissime, mais il existe: un disque parfaitement recommandable selon les critères habituels choix d'oeuvres excellent, interprétations excellentes mais, néanmoins, un disque qu'on ne peut recommander, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la musique.

Ce disque, c'est le récital Chopin que vient de signer André Laplante chez Analekta.

Le pianiste, qui aura 60 ans en novembre, faisait autrefois beaucoup de fausses notes, phénomène d'autant plus mystérieux que la technique était là, déjà impressionnante, et que ces accidents se produisaient souvent dans des passages faciles. Tout cela est passé et Laplante est devenu un interprète de tout premier plan, comme récitaliste, chambriste ou soliste d'orchestre.

 

Un nouveau problème a surgi ces dernières années: en concert, on entend Laplante chantonner, murmurer, grogner, taper du pied, et ce jusqu'aux dernières rangées. À la rigueur, on peut faire abstraction de ces interférences en salle. Préservées sur un enregistrement, elles sont inacceptables car susceptibles d'accompagner chaque nouvelle audition. Or, c'est ce que nous apporte ce disque Chopin.

On entend un bruit étrange difficile à décrire mais provenant très certainement du pianiste et de personne d'autre - dès le départ du disque, avant même le premier accord de l'introduction, marquée «grave», de la Sonate op. 35. Un autre bruit, plus gros celui-là, marque la fin de la courte introduction, quatre mesures plus loin, juste avant l'attaque du premier mouvement lui-même.

Le disque entier, qui totalise 52 minutes, est ainsi affecté de bruits intermittents. Les techniciens chargés d'immortaliser le génie (ou ce qu'on croyait être le génie) de Glenn Gould, lui aussi pianiste-chanteur, avaient réussi à réduire le problème en entourant le piano d'un paravent. De toute évidence, on n'a pas su «entourer» Laplante des mêmes précautions.

Dommage, car les interprétations sont techniquement très solides et pleinement convaincantes. Concernant la Sonate op. 35 et la reprise controversée au premier mouvement, que certains pianistes font à partir de l'introduction et que d'autres font après celle-ci, Laplante règle la question en omettant tout simplement la reprise. Décision sage qui nous épargne sans doute d'autres bruits!

Marc-André Hamelin, dans son récent enregistrement de l'op. 35, chez Hyperion, fait la reprise en omettant l'introduction. Comme son collègue plus jeune, Laplante fait un opus 35 dramatique mais un peu moins tumultueux et il le rejoint dans une Marche funèbre (le troisième mouvement) suggérant un cortège qui s'éloigne, à la différence que Laplante confère au célèbre morceau une tristesse plus grande encore (il y prend d'ailleurs deux minutes de plus que Hamelin).

Laplante complète son disque avec deux Nocturnes chargés de lyrisme (le «posthume» en do dièse mineur et l'op. 15 no 1), trois Mazurkas op. 63 au séduisant mouvement de danse et une magistrale Fantaisie op. 49. Hélas! la troisième Mazurka est assortie de ce qu'il faut bien appeler des beuglements, cependant que le beau silence qui précède les deux derniers accords de la Fantaisie est troublé par une exclamation dont je ne saurais dire la nature.

Laplante reprend une partie de ce programme Chopin cet après-midi au récital de fin de saison du LMMC, 15h30, Pollack Hall de McGill. L'entendrons-nous encore chanter? ...

ANDRÉ LAPLANTE

PIANISTE: CHOPIN

ANALEKTA, AN 29 964

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