Retour sur disque du duo montréalais Numéro#, qui avait créé la surprise en remportant un franc succès avec L'Idéologie des stars. Une galette électro-pop pourtant incomprise aux dires de Jérôme Rocipon et Pierre Crube. Sport de combat, le nouvel album, remet les pendules à l'heure.

«Ce n'est pas pour être défaitiste, mais j'ai dû baisser les bras», échappe le chanteur et guitariste Jérôme Rocipon dès le début de notre entretien dans un café de la Petite-Italie. Assis face à lui, le compositeur-bidouilleur Pierre Crube oublie un instant son plat de pâtes pour me jeter un regard approbateur.

 

«À peu près tout le monde n'a vu que de l'ironie et du cynisme dans nos chansons, alors qu'il s'agissait d'une critique, acerbe. Voilà, j'en avais marre de devoir toujours expliquer les textes. Je ne crois pas que les gens qui écrivent doivent constamment justifier leurs mots.»

Le ton de Numéro# dans ses chansons n'était pas ironique. La situation dans laquelle elles ont placé les musiciens, elle, l'est. Souvenons-nous: il y a deux ans, le duo décrochait son premier succès radio... grâce à une chanson intitulée Hit Pop: «Hit Pop, mon disque dans ta shopping list/Hit Pop, mon coeur dans les yeux des fans», chante Jérôme dans cette chanson entendue en boucle à CKOI...

«J'ai été déçu de constater la manière dont ont été perçues nos chansons. Que seulement quelques personnes y aient bien vu une critique acerbe, et pas seulement du cynisme «à la mode»... J'ai fermé ma gueule, j'ai été gentil, mais sur Sport de combat, je n'avais pas envie de défendre inutilement un concept. On passe à autre chose.»

Exit la vodka, les caramels et le chewing-gum, la bourgeoisie et la vie d'artiste. Les rythmes de Pierre Crube sont plus mordants, grisants et railleurs, le ton presque détaché de la voix de Jérôme offrant un contraste glaçant avec ces vignettes réalistes et sensibles.

Le duo n'a jamais eu l'intention d'atténuer le côté pop de ses chansons, assure Pierre Crube, qui a pondu des rythmiques tantôt plus rigidement techno (Tonton Klaxonne, Tout est parfait), tantôt plus lisses et minimalistes (Couleurs, Faux Tempo). Jérôme a ressorti sa plume pour esquisser des vignettes d'une cruelle lucidité.

Du flair d'abord et avant tout

Il serait injuste de dire que Sport de combat cherche uniquement à déboulonner le Numéro# pop-fluo-électro-bonbon d'il y a deux ans. Car le duo nous prouve, avec la sortie du deuxième album, qu'il a d'abord et avant tout du flair. Inconsciemment, sa musique sert de baromètre mesurant le fond de l'air.

À la sortie de L'idéologie des stars, le rap-pop-dance était roi de la fête, le superficiel passait pour un mode de vie - jusque dans le titre de l'album. Deux ans plus tard, c'est la fin de la récréation: crise économique aidant, les humeurs changent, la musique populaire n'en est que le reflet. Sport de combat est l'un des premiers albums québécois à dépeindre la morosité ambiante.

«La crise, oui, mais c'est plus profond que ça, je sens, réagit Pierre. Moi, je l'ai réalisé en écoutant l'album des Yeah Yeah Yeahs. Je sens que le public est prêt à entendre ça.» Jérôme y voit même un retour aux années «no future» de l'ère Thatcher.

«Bon, il faut aussi comparer des situations qui seraient comparables, reste à voir si c'est vraiment le cas avec l'époque qu'on vit aujourd'hui. Reste que oui, notre disque est beaucoup plus sombre. Mais c'est vrai que lorsque j'ai écrit ces paroles, j'étais préoccupé par tout ce qu'on vit aujourd'hui. Le plus étrange, c'est que ma situation, personnelle, financière, était beaucoup plus fragile à l'époque de L'Idéologie des stars que lorsque j'ai composé Sport de combat. Comme quoi, oui, on sent que le party est fini...»

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