Quelque 20 ans se sont écoulés depuis l'époque où le duo Kashtin - Florent Vollant et Claude McKenzie, Innus de Maliotenam sur la Côte-Nord -, chantait E Uassiuian dans toute la francophonie. Le temps passe, mais la musique demeure, et Florent Vollant lance cette semaine son troisième (et beau) disque solo, Eku Mamu, où l'innu rencontre le blues, où l'anglais se marie au folk, et le français, au country.

Florent Vollant ne m'a pas vue arriver pour l'entrevue: penché sur une des fameuses tablettes à dessiner de plastique rouge Etch-A-Sketch qui traînent là, le guitariste et chanteur a perdu contact avec la réalité, soit un café de l'est de Montréal, loin, très loin de la Côte-Nord. Et il se concentre sur son dessin avec l'intensité calme qu'il met en tout. La même intensité calme qui traverse Eku Mamu, un album où la majorité des chansons en innu (neuf morceaux sur 11) sont habillées par des musiques très blues et folk.

 

Pourquoi du blues? «C'est pas des choses que je veux, répond Florent Vollant gentiment (après avoir terminé son dessin!), ce sont des choses qui arrivent. Après la tournée qui a suivi la sortie de Katak (son premier disque solo, lancé en 2003), je me suis trouvé à faire des spectacles simplement en trio, avec André (Lachance, admirable aux guitares) et Kim (Fontaine, à la batterie, à la basse, etc.). On a créé un petit univers, un petit noyau à trois, on a joué dans de petites salles intimes. Et on a eu envie d'amener cette intimité sur disque: au départ, ça devait être juste le petit noyau... pis finalement, c'est resté le petit noyau», dit-il en riant pour expliquer que Eku Mamu est principalement l'oeuvre de trois gars-amis-musiciens, auxquels se sont joints les amis-réalisateurs Toby Gendron et Sylvain Michel, ainsi qu'un choeur composé d'amis de Maliotenam pour quelques morceaux.

Inspirante Côte-Nord

Entre Katak (avec des collaborations d'Éric Lapointe, de Michel Rivard ou de Marc Déry) et Eku Mamu, il y a eu Nipaiamian (2005), disque qui a miraculeusement réussi à réinventer les classiques de Noël: en procédant par épuration et en retrouvant l'esprit de ces chansons archi-connues (traduites en innu), Florent Vollant s'est tourné encore plus vers le folk, mais aussi le blues... «C'est parce que je suis retourné vivre à Maliotenam. En m'éloignant de la communauté urbaine de Montréal (rires), je me suis rapproché de l'immensité de la Côte-Nord. Là, j'ai moins besoin d'esprit d'équipe, j'ai l'esprit tout court, tu comprends? J'écoute le vent, le bruit des vagues, et je compose avec ça.»

Qu'on ne se méprenne pas, Florent Vollant ne tourne pas le dos au XXIe siècle: «J'ai maintenant un tout petit iPod et je peux marcher des heures en écoutant aussi de la musique. Seulement, dernièrement, je suis monté à Schefferville avec ma famille, il faisait -40 degrés, l'appareil a gelé et il est désormais bloqué au mode random (lecture aléatoire). Alors, j'ai toujours des surprises: j'écoute du George Harrison et là, oups, c'est du Blue Rodeo, puis du Ray Charles, du Ian Kelly, du Plume...»

Est-ce que, sur son lecteur se trouve Mother She Knows, du grand guitariste huron-wendat Gilles Sioui (qui a notamment accompagné Kevin Parent et Bob Walsh), chanson que Vollant reprend sur son album? «Gilles, c'est le plus ancien membre en règle des Spirit Seekers que je connaisse, c'est l'un des premiers à nous avoir fait réaliser que la musique est aussi une médecine. Il a toujours été là pour moi, même à l'époque de Kashtin: il pouvait traverser tout le territoire, en pleine nuit, pour venir faire de la musique et guérir...»

Qu'en est-il alors de Que la lune est belle ce soir, classique du western québécois écrit par Yvon Durand, popularisé par Julie Daraîche et interprété par tous les chanteurs country d'ici, Renée Martel et compagnie? «Moi, je suis né au Labrador et sur le petit radio transistor de mes parents, je captais du Hank Williams, du country en anglais. Après, on a déménagé à Maliotenam et j'ai découvert le country francophone: Willie Lamothe, Marcel Martel, la famille Daraîche... Mes parents écoutaient beaucoup ces chansons qui cadraient bien avec le fait de vivre dans une réserve fermée... Mes premiers accords de guitare, je les appris sur du Neil Young, Bob Dylan, les Beatles, mais aussi avec le country québécois. Et puis, cette chanson, c'est une histoire de musicien qui trouve que c'est beau, la lune. Et moi, je tripe sur la lune, je peux aller n'importe où et elle est toujours là. Quand je suis dans le Nord, d'ailleurs, je l'entends, la lune... Mon frère, qui est celui qui m'a fait découvrir Leonard Cohen, l'entend lui aussi. Des fois, autour du feu le soir, il se lève et applaudit la lune (rires). J'entends même le bruit que fait sa course, veux-tu l'entendre?» Et en plein jour, dans un café de l'est de Montréal, loin, très loin du Nord, grâce à Florent Vollant, j'ai entendu la lune...