Obscur compositeur, producteur de l'ombre, savant fou aux commandes d'un des meilleurs studios d'enregistrement français des années'70, Jean-Pierre Massiera fait aujourd'hui l'objet de deux compilations rétrospectives, éditées par le label québécois Mucho Gusto qui nous soumet le meilleur de son étrange oeuvre.

La maison Mucho Gusto nous a préalablement donné les essentielles rééditions des albums de l'Infonie, du Laissez-nous vous embrasser là où vous avez mal de Péloquin-Sauvageau et de l'unique album de Maledictus Sound, point de départ de l'opération-sauvetage de l'oeuvre de Massiera.

 

Maledictus Sound, ce groupe de garage-lounge instrumental de la fin des années 60, avait germé dans le Studio d'enregistrement méditerranéen (S.E.M.) niçois du Français Jean-Pierre Massiera. Il a cimenté, en 1968, sa courte collaboration avec le réalisateur Tony Roman. Massiera, qui s'était alors brièvement installé au Québec, est ensuite allé poursuivre son oeuvre marginale dans l'ombre de ses nouvelles installations du Studio Antibes, dans la ville française du même nom.

Pour la petite histoire, le joli livret de ces rééditions raconte que le studio a été fréquenté par les John McLaughlin et Bill Wyman des Rolling Stones. Mais il passera à l'histoire comme «la Mecque du disco dans le sud de la France». Massiera en était le patron, ses clients provenaient de toute l'Europe où, comme en Amérique durant la dernière moitié des années 70, le disco était devenu une business jalonnée d'enregistrements douteux, particulièrement de «disco mixes» des grands succès de l'époque.

Nul doute que Massiera plaiderait coupable pour ce gaspillage de vinyle, des disques de centre commercial qui polluent encore aujourd'hui les sous-sols d'église. Mais entre ces contrats de réalisation disco, les trames sonores de séries télé ou de long métrages oubliés et le boulot de musicien accompagnateur (il a joué de la guitare pour Michèle Torr et Claude François), Massiera s'adonnait à ses projets personnels en toute liberté.

C'est justement cette incroyable liberté, doublée d'une imagination fascinante, qui rend ces enregistrements si captivants. Massiera le musicien est un halluciné de première dont l'oeuvre ne pouvait qu'être incomprise par la majorité des mélomanes de l'époque et qui aujourd'hui continue de susciter une admiration mêlée d'incrédulité.

Les bonnes gens de Mucho Gusto ont puisé dans une bonne demi-douzaine de «longs jeux» pour en extraire des perles d'excentricité pop, rock et disco qui, souvent, frisent l'expérimentation pure, constellées de références au sexe, à la science-fiction, à la démence... Deux collections distinctes sont proposées: Freakoïd (1963-1978) regroupe les chansons plus rock, sinon carrément délirantes, et Discoïd (1976-1981), qui collige les expériences disco, funk et soul du compositeur aux multiples identités musicales.

Chacune d'elles recèle sa part de petites perles. Les chansons créditées à Basile (sur Freakoïd) comptent parmi les plus démentielles - sur Engins bizarres et gens étranges, on dirait Ricet Barrier sous acide. Les chansons au nom de Herman's Rocket donnent dans le psychédélisme (une couleur constante) au groove savoureux. Encore sur Freakoïd, Les Chats et les Monégasques explore le rock sixties et les possibilités sonores du studio high-tech (pour l'époque) de Massiera.

L'album Discoïd révèle le côté mélomane de Massiera, qui n'hésite pas à «emprunter» des idées musicales aux autres pour y insuffler sa folie. La première chanson de cette collection disco, Toi qui rêve de baisers (créditée à Sex Convention), pique carrément la section rythmique du Scorpio de Dennis Coffey. Boney M aura aussi son «hommage» sur Daddy and mama (J. Joyce&Co). Sans sombrer dans le bête plagiat, Massiera part occasionnellement d'un riff connu pour l'amener dans sa propre dimension...

Enfin, ces deux compilations de Massiera sont franchement réjouissantes en ce qu'elles nous permettent de rêver que d'autres énergumènes musicaux puissent un jour arriver au XXIe siècle, avec l'aide de maisons spécialisées telles que Mucho Gusto. Seule une fraction de toute la musique enregistrée est offerte en CD ou en version numérique. Et s'il restait encore plein d'autres talents bruts et radicalement originaux comme Massiera?

JEAN-PIERRE MASSIERA

Psychoses: Freakoïd (1963-1978)

Mucho Gusto Records/Fusion I

***1/2

JEAN-PIERRE MASSIERA

Psychoses: Discoïd (1976-1981)

Mucho Gusto Records/Fusion III

***1/2