La poésie de Gaston Miron a été mise en musique à quelques reprises déjà. Gilles Bélanger, lui, l'a mise en chanson. D'où ce disque magnifique qui, à travers les voix de Pierre Flynn, Plume, Vincent Vallières et d'autres de nos plus grands artisans de la chanson, redonne la parole au premier poète véritablement québécois.

Il y a eu La marche à l'amour enregistrée par Gaston Miron, accompagné des musiciens Pierre St-Jak et Bernard Buisson à La Licorne. Introuvable. Les interprétations de Nathalie Lessard sur l'album Tout un chacun, seulement disponible par l'entremise de l'artiste. L'émouvante lecture de La marche à l'amour (encore elle!) par Pierre Lebeau, heureusement archivée sur le site de Radio-Canada. Puis, les poèmes chantés en toute fragilité ces dernières années par Chloé Sainte-Marie.

 

Miron a souvent été dit en public par le poète lui-même, notamment. Il n'avait toutefois jamais été mis en musique de manière aussi accessible voire pop avant que l'auteur-compositeur Gilles Bélanger ne s'y consacre. Chloé Sainte-Marie, dont il a été un proche collaborateur ces dernières années, a interprété quelques-unes des chansons qu'il a faite sur des textes de Miron. Avec le succès que l'on sait.

Il n'a toutefois pas voulu courir le risque que, à peine sortie de l'ombre, cette oeuvre poétique retombe dans la voie de service qui mène à l'oubli. «Il est assez surprenant de constater que, si on demande aux gens dans la rue qui est Gaston Miron, beaucoup ne le savent pas. Je ne suis pas un apôtre, précise cependant le compositeur. La première job de l'artiste, c'est de se faire plaisir. Et j'avais envie de faire un album de Miron.» Avec une gang de gars, cette fois.

Douze homme rapaillés rassemble une dizaine de voix masculines parmi les plus significatives des dernières décennies: Rivard, Plume, Flynn, Séguin, Lavoie, Corcoran, Faubert, Yann Perreau, Martin Léon et Vincent Vallières. Gilles Bélanger a gardé une chanson pour lui (Parle-moi) et une autre pour Louis-Jean Cormier, de Karkwa, à qui il a confié la réalisation du disque. Chaque artiste n'a eu qu'un après-midi pour enregistrer sa chanson avec le groupe maison. «On ne voulait pas qu'ils jouent de leur instrument, mais qu'ils se concentrent sur leurs interprétations», dit Gilles Bélanger. L'obligation de boucler l'enregistrement en un court laps de temps confère au disque une «fragilité» et une «fébrilité», estime Pierre Flynn.

Art poétique

Miron, avec Félix et Vigneault, a contribué à établir les frontières imaginaires du Québec. Il en a habité l'espace, de la «Sainte-Catherine Street» aux montagnes «râpées du nord». Il a milité pour l'indépendance du Québec et a beaucoup travaillé à faire connaître la littérature québécoise, ici et ailleurs. Or, bien qu'il ait été éditeur, il a aussi mis du temps à se résoudre à rassembler ses poèmes en un recueil, l'essentiel L'homme rapaillé.

«Il est toujours dans mon étui de guitare acoustique, dit Vincent Valllières, du livre de Miron. Je trouve que c'est un livre vraiment important. Tenir l'oeuvre d'un homme dans une main, c'est une source d'inspiration de tous les instants. Tu l'ouvres à n'importe quelle page et tu ne tombes jamais sur un vers faible. Chaque vers de Miron est un voyage en soi.»

Pierre Flynn, lui, dit avoir a pris conscience de sa condition de Québécois «en grande partie à cause de Miron». Il l'a découvert à l'adolescence dans un film relatant la Nuit de la poésie de 1970. «Ça a donné un gros boost à ma québécitude, autant culturellement que politiquement, assure-t-il. Mais l'adolescence, c'est aussi l'époque des premières grandes amours... Je dois dire que ce qui m'a le plus bouleversé chez Miron, c'est La marche à l'amour. Cet élan, ce côté éperdu dans le sentiment amoureux, je trouve ça encore plus grand et plus universel que quoi que ce soit d'autre.»

Élan amoureux

Ce n'est d'ailleurs pas tant le militant que l'amoureux qui est mis en valeur dans Douze homme rapaillés. Le disque s'ouvre sur la finale de La marche à l'amour (le fameux «Je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi...») interprétée par Yann Perreau. Jim Corcoran reprend Mon bel amour, qu'interprétait aussi Chloé Sainte-Marie. Pierre Flynn se frotte à un texte moins connu, Poème dans un goût ancien, dont le désespoir est magnifié par des arrangements aériens d'une grande intensité.

Vincent Vallières transporte pour sa part Au sortir du labyrinthe dans un registre country-folk, dynamisée par le jeu de piano de François Lafontaine. Dans cette chanson, comme dans Je t'écris pour te dire que je t'aime, reprise ici par Michel Faubert, on entend aussi l'influence de Dylan, ce qui contribue à placer Miron en Amérique. «Ce qui sers Miron, c'est ce qui me vient de Dylan», estime d'ailleurs Gilles Bélanger.

«Le génie de Gilles est de savoir quoi faire avec les poèmes, croit Pierre Flynn, d'avoir su en faire des chansons, avec des refrains et des accroches.» Miron écrivait en vers libre et le compositeur s'est senti en droit non pas d'altérer les textes, mais de favoriser la répétition de certains passages, pour créer des couplets et des refrains. «Un bon poète, ça chante. Miron, il chante déjà», constate Gilles Bélanger.

Il se doute que certains puristes n'apprécieront pas. Il croit toutefois que la forme chansonnière contribuera à démocratiser la poésie de Miron. Vincent Vallières abonde: «La chanson devient un véhicule pour porter sa poésie vers des gens qui ne le connaissent pas. Un album comme celui-là peut être une porte d'entrée dans son oeuvre.»