Peu d'opéras sont aussi près du théâtre que Dialogues des carmélites. En confiant le trésor de Poulenc à Serge Denoncourt, homme de théâtre, l'Opéra de Montréal a visé juste. Avec cette nouvelle production, dont la première avait lieu samedi soir à la salle Wilfrid-Pelletier, musique et théâtre avancent main dans la main dans une vision cohérente qui magnifie la puissance et la portée universelle de ce chef-d'oeuvre.

Après avoir entendu le metteur en scène parler aux médias de sa lecture athée et anhistorique des Dialogues, on pouvait s'inquiéter. Dans sa mise en scène, Blanche souffrirait de maladie mentale et la Révolution française ne serait pas évoquée, nous apprenait Denoncourt. Il était légitime de se demander si l'opéra de Poulenc n'allait pas souffrir de cette rupture avec la tradition, mais ce n'est pas le cas - sauf, peut-être, aux yeux des traditionalistes purs et durs.

Décor minimaliste

L'action est donc située dans un passé indéfini et non dans le contexte de la Révolution, bien que les costumes suggèrent vaguement les années 50. Ce choix de mise en scène permet d'appréhender les grands thèmes de l'oeuvre dans une perspective plus large, qui risque d'interpeller plus directement le spectateur du XXIe siècle. Quels que soient l'époque et le lieu, le fanatisme et la violence ne sont jamais bien loin.

Le décor est d'une grande simplicité, mais grâce à une utilisation fort pertinente des éclairages, il ne dégage pas la froideur accompagnant parfois les scénographies minimalistes. Son élément central est une combinaison d'immenses rideaux blancs translucides qui apportent de la texture et du mouvement tout en délimitant différentes couches narratives. Une palette de couleurs limitée, où dominent le gris, le blanc et le noir, transpose visuellement les contrastes entre le bien et le mal, la pureté et la terreur, la vie et la mort qui traversent l'opéra. Cette esthétique soignée contribue pleinement à l'expérience du spectateur.

L'une des plus grandes forces de cette oeuvre exigeante, ingrate sur le plan du scénario et des exploits lyriques, réside dans sa merveilleuse partition orchestrale. Jean-François Rivest et l'Orchestre symphonique de Montréal en tirent le meilleur parti. Le chef démontre une intelligence du texte qui place la musique au coeur de la progression dramatique, chaque intervention de l'orchestre plongeant davantage l'auditeur dans la tension du moment, jusqu'à la dernière note.

Une distribution convaincante

La distribution, dans l'ensemble, est convaincante et bien choisie. Les interprètes, pour la plupart, ont la physionomie convenant à leur personnage. Marianne Fiset brille dans le rôle de Blanche de la Force et démontre les subtiles nuances de son instrument vocal tout en offrant une prestation théâtrale satisfaisante.

Marie-Josée Lord (madame Idoine) offre une voix au timbre singulier qui n'aura pas l'heur de plaire à tous, une voix mûrie, mais qui demeure maîtrisée techniquement et, surtout, guidée par la musicalité, l'émotion et la sincérité. Sa diction n'est pas la plus claire de la distribution et quelques mots nous échappent, mais sa présence sur scène apporte une dose essentielle de dignité et d'humanité à cette petite communauté religieuse théâtrale dont les personnages secondaires demeurent trop anonymes.

La mezzo-soprano Aidan Ferguson, en mère Marie de l'Incarnation, est impériale. Sa voix domine les autres de sa puissance et la chanteuse impressionne par son aplomb. La jeune Magali Simard Galdès, membre de l'Atelier lyrique de l'OdeM qui interprète soeur Constance, démontre un grand potentiel vocal et un talent évident pour le jeu scénique. On espère avoir l'occasion de la réentendre. Mia Lennox incarne de façon émouvante les tourments de madame de Croissy. Gino Quilico, dans le rôle du père, semble par moments manquer de souffle. Sa voix est un peu inégale, mais demeure riche dans les graves. Antoine Bélanger s'en sort honorablement en tant que chevalier de la Force: musicalité et jeu impeccable sont au rendez-vous.

Le moment fort de la soirée, la mise à mort des religieuses, a été conçu de manière à assener un véritable coup de poing. Toutes réunies sur scène, les bonnes soeurs, éclairées d'un faisceau blanc, chantent en choeur le Salve Regina. Tandis que la guillotine tombe plusieurs fois dans un bruit à glacer le sang, leurs lumières s'éteignent une à une, jusqu'à ce que la dernière, Blanche de la Force, soit exécutée à son tour. L'effet est bouleversant. On retiendra de cette soirée que l'objectif est atteint: l'oeuvre de Poulenc est bien servie et l'art nous touche droit au coeur.

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À la salle Wilfrid-Pelletier, le 31 janvier, ainsi que les 2 et 4 février, 19 h 30.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE