Les idées simples sont parfois les meilleures, c'est d'autant plus vrai à l'opéra. Avec une distribution exceptionnelle et une mise en scène brillante, sans artifices inutiles, le Don Giovanni de l'Opéra de Montréal, dont la première avait lieu samedi soir, est un véritable ravissement musical et une grande réussite.

Les transpositions d'époque sont souvent problématiques. En situant l'action de Don Giovanni autour des années 40-50, le metteur en scène David Lefkowich courait le risque de dénaturer l'oeuvre, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, la mise en scène est crédible, cohérente et respectueuse de l'esprit de Don Giovanni, dont les thèmes - notamment ceux des agressions sexuelles et des rapports entre hommes et femmes - sont toujours actuels et universels.

Plusieurs détails sont ingénieusement modifiés pour mieux coller à l'époque. On utilise, par exemple, un gramophone au lieu d'un orchestre de chambre pour agrémenter le dîner de Don Giovanni, et on remplace le menuet du bal par une sorte de swing adapté à la musique. Vêtus de costumes élégants, les personnages évoluent dans un décor assez minimaliste et sobre qui ne change pas du début à la fin. On mise plutôt sur quelques accessoires et sur des éclairages élaborés pour situer les différentes scènes et changer l'ambiance.

Quoi qu'il en soit, la scénographie devient carrément secondaire lorsque l'on découvre la qualité des voix et de l'interprétation orchestrale. 

Jordan de Souza, à la tête de l'Orchestre Métropolitain, apporte une vision fraîche, vivante et fluide de la partition de Mozart. Que de talents réunis en un soir! Il s'agit sans doute là d'une des meilleures distributions à l'Opéra de Montréal depuis longtemps. De tous les chanteurs, pas un seul ne déçoit, et chaque aria est un moment de bonheur. On constate aussi que ces interprètes, tous canadiens, ont reçu dans les écoles du pays une excellente formation en jeu scénique, lequel est élaboré et raffiné. Une harmonie artistique règne entre eux, ce qui démontre certes une direction d'acteurs ferme et intelligente, mais n'est pas étranger au fait qu'ils ont presque tous étudié à peu près à la même époque, dans des établissements qui se ressemblent.

Gordon Bintner, solide et magnifique, campe un Don Giovanni désinvolte et effronté. Il est secondé à merveille dans ses crimes par le truculent Daniel Okulitch, un vrai comédien né. Jean-Michel Richer (Don Ottavio) fait entendre une très belle voix de ténor et s'avère touchant dans le difficile Il mio tesoro, malgré quelques imperfections à peine perceptibles et compréhensibles, compte tenu de son peu d'expérience.

Le trio de voix féminines formé par Layla Claire, Emily Dorne et Hélène Guilmette est lumineux. Layla Claire (Donna Elvira) éblouit par la richesse de sa voix et Emily Dorn est admirable en victime éplorée. 

Quant à Hélène Guilmette, on peut dire qu'elle est au sommet de son art et vole pratiquement la vedette tellement son jeu et sa voix sont subtils et maîtrisés. En plus d'être drôle et coquette en Zerlina, chaque note qu'elle chante est un délice.

Alain Coulombe, routier expérimenté entendu maintes fois à Montréal, est à la hauteur des attentes dans son rôle du Commandeur et nous donne les frissons que l'on espère dès son entrée lugubre pour la scène finale.

Parlant de cette finale: la dernière minute est peut-être la seule décevante. On s'attend, comme il se doit, à voir Don Giovanni entraîné vers l'enfer - ou toute équivalence moderne de l'enfer qu'aurait pu imaginer le metteur en scène. Or, on ne voit pas la moindre lueur de flammes. Le libertin condamné se contente de s'enfuir par la porte en courant comme un fou, ce qui donne l'impression qu'il échappe au châtiment suprême au lieu de le subir et casse, en même temps, l'effet dramatique escompté. Était-ce intentionnel, pour démontrer que les violeurs s'en tirent souvent, un simple problème d'éclairage ou un raccourci de mise en scène? Cette sortie nébuleuse nous prive d'une conclusion satisfaisante. Dommage.

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Demain, ainsi que les 17 et 19 novembre, à la salle Wilfrid-Pelletier.