En se pointant sur la scène du Zénith de Paris, hier soir, Cat Stevens, devenu Yusuf Islam dans les années 70, s'est retourné vers le décor de gare qu'on lui a construit pour cette tournée intitulée Peace Train... Late Again. Puis il a fait mine de consulter sa montre pour que l'on comprenne que ledit train accusait du retard, quelque chose comme une quarantaine d'années depuis la création de cette chanson utopiste. Un peu plus tard, quand il a emprunté à Curtis Mayfield People Get Ready, une autre chanson qui donne dans la métaphore ferroviaire, l'artiste de 66 ans a constaté non sans humour que celle-là aussi était née avant l'Eurostar.

De toute façon, aucun des spectateurs rassemblés au Zénith n'était dupe: c'est le Cat Stevens des années 70 qu'on était venu entendre et l'artiste qui s'est éclipsé pendant près de 30 ans après sa conversion à l'islam n'a pas déçu. Tant et si bien que le public de la seule étape française de cette tournée qui passera par Toronto le 1er décembre lui a réservé un accueil triomphal qui a semblé l'étonner. Les plus vieux tapaient des mains, des spectateurs de tous les âges chantaient ses airs les plus connus et on a même vu de jeunes enfants lui réclamer des titres de chansons.

L'étincelle après l'entracte

Ce n'était pourtant pas gagné après la première partie du concert. Les fans s'étaient régalés de The Wind, Moonshadow, Sitting et Morning Has Broken, mais malgré le travail impeccable de ses cinq musiciens, dont le vieux complice Alun Davies à la guitare acoustique, on cherchait encore l'étincelle qui fait la différence entre un concert de bonne tenue et une soirée dont on se souviendra longtemps.

Curieusement, c'est après l'entracte, quand il a joué plus de chansons de son tout nouvel album Tell 'Em I'm Gone, que c'est devenu véritablement intéressant. Comme si, au contact de ces chansons qui sont pourtant pour la plupart des reprises, l'artiste s'était enfin senti pertinent en 2014. Tout à coup, la musique sage comme une image s'est décoincée. La chanson ouvrière Big Boss Man a trouvé un écho dans le texte relu et corrigé par Yusuf/Cat de Another Saturday Night de Sam Cooke et la mordante chanson autobiographique Editing Floor Blues a préparé le terrain pour la troublante The First Cut Is the Deepest que lui avait empruntée jadis Rod Stewart avec le succès que l'on sait.

Les spectateurs se sont mis à réclamer avec plus d'insistance les chansons qu'ils tenaient à entendre et elles se sont manifestées comme par miracle, de Sad Lisa à Father and Son, deux véritables moments d'émotion. Même quand ce n'était pas la chanson réclamée à haute voix mais plutôt, par exemple, Don't Let Me Be Misunderstood empruntée à l'idole Nina Simone, le chanteur et ses musiciens la rendaient de façon tellement convaincante qu'elle était applaudie presque aussi chaudement.

Passion retrouvée

En 31 chansons sur presque deux heures de concert, on a compris que le répertoire de Cat Stevens n'a rien perdu de son charme et de sa beauté, mais qu'il est encore mieux servi aujourd'hui par un Yusuf Islam qui a retrouvé la passion de son métier. Ainsi que la liberté qui l'autorise à chanter All You Need Is Love des Beatles aussi bien que If You Want To Sing Out, Sing Out, de la bande originale du film culte Harold et Maude, son tout premier 45-tours I Love My Dog ou encore des chansons passées à peu près inaperçues dans les deux albums qu'il a lancés après sa longue éclipse.

Un peu pris de court quand le public lui a réclamé un deuxième rappel, Yusuf/Cat a chanté une chanson de son album Mona Bone Jakon paru en 1970 mais pas celle qu'espéraient encore les plus optimistes de ses fans français: Lady d'Arbanville. Peut-être qu'il ne blaguait pas quand il a dit à La Presse, le mois dernier, que celle-là, sa femme ne voulait pas qu'il la joue.

Personne ne lui en a tenu rigueur hier soir et l'artiste a tiré sa révérence en promettant presque de revenir chanter à Paris. S'il continue à s'amuser autant sur scène, peut-être aura-t-il également la bonne idée de faire un détour par Montréal un de ces jours.