Dans une courte vidéo précédant la représentation des Innocentes, le metteur en scène René Richard Cyr nous prévient: «Il s'agit d'un voyage dans le temps. Une façon de voir le chemin parcouru, et celui qu'il reste peut-être à faire. Rappelez-vous que cette pièce a été créée en 1949!»

Beaucoup de mises en garde, me semble-t-il, pour justifier la très sage reprise de cette pièce qui célèbre les 65 ans du Rideau Vert.

René Richard Cyr a bien sûr raison de souligner l'audace des fondatrices du Rideau Vert, qui ont ouvert leur première saison avec ce mélodrame mettant en scène deux enseignantes accusées d'être amoureuses l'une de l'autre. Des accusations portées par une élève en mal d'attention, qui répandra la rumeur.

La vérité est que la prise de parole de l'auteure américaine Lillian Hellman dans les années 30 est toujours actuelle.

Au-delà des relations homosexuelles, jadis considérées comme «anormales» et «contre-nature» (encore aujourd'hui dans certains cercles!), on pense immédiatement aux enseignants accusés à tort d'attouchements à l'endroit de leurs élèves. Ou pire, aux fausses accusations de pédophilie à l'endroit de professeurs ayant été trop sévères...

La pièce n'est pas non plus sans rappeler Les sorcières de Salem d'Arthur Miller, allégorie du maccarthysme, qui avait brillamment théâtralisé le procès de dizaines de femmes du Massachusetts accusées de sorcellerie sur la foi de rumeurs répandues par quelques filles qui prétendaient avoir été «envoûtées».

Question: fallait-il donc être si fidèle à la création d'origine? On adapte pourtant chaque année des pièces beaucoup plus anciennes sans en trahir les mots ou l'esprit. Non?

Toujours est-il que René Richard Cyr a choisi d'assumer le côté mélodramatique de la pièce, qui a des airs de téléroman ou de telenovela. Sa mise en scène est efficace et cohérente, mais ses personnages ne parviennent tout simplement pas à nous toucher. Il y a une distanciation qui nous donne plutôt l'impression d'être face à un document d'archives.

Cela dit, les comédiens s'en sortent généralement bien, malgré quelques fausses notes.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les élèves du pensionnat sont toutes incarnées par des comédiennes professionnelles (on jurerait qu'il s'agit d'adolescentes!). La détestable et manipulatrice petite Marie est d'ailleurs parfaitement défendue par Catherine Leblond. Son personnage d'intimidatrice est sans doute celui qui a le plus de résonance.

Le duo d'enseignantes formé de Sylvie de Morais et Rose-Maïté Erkoreka est crédible, même si leur naïveté nous renvoie constamment à une lointaine époque. On retient quand même ce passage où Marthe (Sylvie de Morais), isolée, lancera cette magnifique réplique: «Voir clair en soi-même par un mensonge d'enfant...»

Mais le sel de cette ultime production de la saison s'appelle Sylvie Drapeau. Il faut dire que son personnage de comédienne déchue et de diva lui donne le beau rôle. Chacune de ses apparitions illumine la scène. Seule remarque: elle devra s'ajuster pour ne pas faire rire les spectateurs dans les passages dramatiques.

À la fin, on reconnaît l'audace de Lillian Hellman, l'audace d'Yvette Brind'Amour et de Mercedes Palomino aussi, mais malheureusement pas l'audace (cette fois) de René Richard Cyr.

Au Rideau Vert jusqu'au 7 juin.