Dans la grande ville de ce pays «qui n'en finit plus de naître», la poésie de Gaston Miron s'est ouverte hier à une nouvelle vie, une vie émanant de sa rencontre sur scène avec la musique, la grande musique.

Les poèmes de L'homme rapaillé, mis en musique par Gilles Bélanger - un mariage d'amour -, avaient déjà connu une deuxième vie, si l'on peut dire, à travers l'art mineur de la chanson. Hier soir, poussés par l'Orchestre symphonique de Montréal totalement engagé dans la voie énergique du chef Jean-François Rivest, les Douze hommes rapaillés ont porté le projet «poésique» à ce qu'il y a lieu de considérer comme un indépassable sommet.

Cette Symphonie rapaillée - reprise ce soir (jeudi) à la Maison symphonique - prête certes à divers mouvements du coeur (et de l'esprit) mais force est d'admettre que l'arrangeur Blair Thomson, au piano hier, a non seulement respecté les compositions de Bélanger mais les a fait déboucher sur un ailleurs que seule une puissance cohésive comme l'OSM peut créer et soutenir. Impressionnant.

Comme sur le CD, Louis-Jean Cormier, l'Homme-architecte, a «ouvert» avec une chanson d'amour physique (Le long de tes hanches) cette soirée de poésie para-coïtale où le poète «national» chante plus la femme que le pays. Personne ne s'en plaint.

Yann Perreau a semblé craindre de mordre dans Amour sauvage, amour mais s'est repris en douceur, tout comme Jim Corcoran qui, égaré un instant, a retrouvé la piste orchestrale: «amour navigateur», GPS de l'homme de coeur.

Ça claquait de tous les bords pour La corneille - avons-nous entendu une clarinette basse se déchaîner? -, «Corneille, ma noire», mi-dite mi-chantée par Michel Faubert, avec toute la théâtralité que peut amener à la scène ce magnifique conteur. Comme la foule, le chef a acquiescé de la baguette.

Richard Séguin n'a pas la tâche facile avec Pour retrouver le monde et l'amour et Vincent Vallières chante la première partie du Camarade sans beaucoup de repères rythmiques ou mélodiques. La concentration est de mise quand il s'agit de «démêler la mort de l'avenir». Double V n'en manque pas.

Puis Michel Rivard s'est levé pour appeler au secours... mais personne ne l'a cru tellement il semblait à l'aise avec l'orchestre et ce poème qu'il a bien en bouche, parce que le rythme de Miron, là, lui ressemble. En prime: un solo de drums à la Maison symphonique...

Debout au milieu de l'orchestre, Pierre Flynn, cravate noire, a montré à son tour qu'une voix et un ensemble orchestral peuvent s'intégrer en un tout indivis. L'OSM n'était pas juste là pour accompagner les Hommes, hier. Toutes voiles dehors et pas de signe de «douleur cymbale».

Monsieur Yves Lambert a commencé à l'harmonica Retour à nulle part et la foule, connaissante et attentive, a vite applaudi la pièce la plus politique de la soirée: «Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver...» Et les cuivres ont crié: «Vrai!»

Quant à Gilles Bélanger, le compositeur des musiques, il n'aurait pas chanté qu'il aurait été parfaitement heureux. Martin Léon, coréalisateur de rapaillage symphonique avec Cormier, avait le bon ton pour Art poétique que Miron avait dédiée à ses parents: «J'entends votre paix/se poser comme la neige».

Et Daniel Lavoie, qui pourrait faire valser les huîtres, a chanté Ce monde sans issue qui, comme pas mal tout ce qu'il fait, est allée «au coeur des hommes». Et des femmes aussi. Le bonheur.