Pendant que le Québec regardait la soirée électorale à la télé, 13 559 fans irréductibles de Black Sabbath s'immergaient dans les années 70, lundi soir au Centre Bell.

Il y avait de la fébrilité dans l'air. L'enceinte sportive était encore éclairée que les premières incitations d'Ozzy Osbourne à «virer fucking crazy» annonçaient aux spectateurs majoritairement mâles que la bête était dans la place. L'instant d'après, on devinait derrière le rideau de scène la silhouette du chanteur plantée devant son micro.

Black Sabbath, c'est évidemment la machine infernale redoutablement efficace menée par la guitare experte de Tony Iommi et la basse roulante de Geezer Butler, mais sans Ozzy, ce n'est pas tout à fait la même chose. Il a eu beau faire le clown au fil des ans, c'est sa voix qu'on veut entendre dès que les sirènes se taisent et qu'on reconnaît le beat pesant de War Pigs, l'hymne anti-guerre du Viêtnam de 1970 - le mot pacifiste ne fait pas vraiment bon ménage avec Black Sabbath.

La chorale des spectateurs est debout et elle le restera un bon moment. Dans la section 121, les fans secouent la tête en faisant le signe du diable de la main pendant que le headbanger en chef arpente la scène de gauche à droite, invite les troupes à taper des mains puis à balancer les bras dans ce qui ressemble davantage à un ralliement fleur bleue qu'à une messe noire.

Pendant que Iommi et Butler multiplient les changements de tempi, accompagnés en cela par un batteur compétent qui pourrait être leur fils, Ozzy sautille comme dans une séance d'aérobie, se prend pour une chauve-souris et joue à fond la carte de l'animateur de foule. Sur l'écran derrière, Sabbath donne dans son folklore, faisant défiler des tyrans (War Pigs), des cokés le nez dans la poudre (Snowblind) ou encore des individus en transe, des prédicateurs américains et même l'ex-pape Benoît XVI (Under the Sun). On est impie ou on ne l'est pas.

Puis c'est le grand retour dans le temps, l'orage, la cloche qui sonne et annonce la chanson Black Sabbath. Ozzy est en voix. Il ressuscite la silhouette noire aux yeux de feu avant d'éclater d'un rire... diabolique. Sitôt le boléro à la Yardbirds terminé, Black Sabbath enchaîne avec la longue suite du même premier album dans laquelle Ozzy devient Lucifer après le solo de basse de son ami Geezer.

Black Sabbath assure et les chansons du plus récent album 13 ne détonnent tellement pas qu'on dirait des pastiches. Mais ça se gâte vers la fin. L'inévitable solo de Tommy Clufetos, le Jésus en bedaine qui officie derrière la batterie, est interminable. Les trois autres Sabbath en profitent sans doute pour faire une sieste et c'est avec énergie qu'ils attaquent Iron Man à leur retour.

Plutôt que de passer au rappel, le show s'étire. Ozzy se met à fausser pendant Dirty Women, une chanson médiocre qui semble aplatir les fans les plus volontaires et dont l'accompagnement visuel fait passer les Rolling Stones pour des enfants de choeur.

Heureusement, la soirée se termine sur Paranoid, les confettis pleuvent sur la foule, des ballons tombent du plafond et Ozzy salue le public montréalais - «fucking great» - avant de retraiter en coulisses.