Hesitation Marks, paru le mois dernier, est un album étonnamment posé si on considère que c'est un disque de Nine Inch Nails. Trent Reznor n'y renie pas son passé rock industriel, mais le conjugue au présent avec une mesure qu'on ne lui a pas souvent connue depuis qu'il a pris d'assaut nos oreilles avec Pretty Hate Machine. De là à s'imaginer qu'il offrirait un concert plus tranquille qu'à son habitude, hier soir au Centre Bell, il y a un pas qu'on aurait été malvenu de franchir.

Il a été clair dès le coup d'envoi, Copy of A, que Reznor et ses nombreux accompagnateurs allaient mettre toute la gomme: on avait le plexus qui vibrait sous les assauts soutenus de la basse et de la batterie. Les éclairages d'un blanc cru fort à propos rehaussaient le côté brut de l'entrée en matière, aussi marquée de solides interprétations de Terrible Lie et March of the Pigs, mais également une version de Piggy malmenée par une batterie démesurément écrasante.

Décharges agressives

Ce déséquilibre mis à part, Nine Inch Nails profitait d'une sono de qualité. Ces décibels soignés décuplaient la puissance de décharges agressives, mais permettaient aussi d'apprécier les nuances dans les vrombissements électroniques et de goûter le groove étonnant d'une chanson comme All Time Low, dans laquelle Reznor et son groupe ont glissé une citation de Closer. On a reconnu quelques mots et un riff de guitare de la fin de cet improbable hit... que Nine Inch Nails n'a pas interprété, hier.

Ne pas inclure ce morceau emblématique dans le programme était une bonne idée. Son absence marquait clairement qu'on n'était pas là pour se rappeler des souvenirs, mais entendre ce que Reznor a à offrir en 2013. Il a d'ailleurs joué huit chansons de son dernier disque pendant la soirée.

Le dépouillement affiché en début de spectacle n'a pas duré. De splendides effets visuels issus de l'agencement judicieux de plusieurs couches successives d'écrans translucides sur lesquels étaient projetées des animations diverses ont en effet animé - égayé, même - une bonne partie du concert. On gardera en mémoire les formes géométriques bleues et jaunes qui dansaient en donnant un effet de 3D pendant Disappointed.

On en était à se demander si le son de Nine Inch Nails était décalé ou non quand, après Somewhat Damaged, Reznor a fait rugir sa guitare et balancé Wish, tiré du E.P. Broken. Soudain, ces considérations n'avaient plus d'importance. Sa rage résonne encore et elle est servie par une précision d'exécution souvent stupéfiante.

Reznor sait par ailleurs se montrer généreux: 23 morceaux étaient au programme, hier soir, puisés dans tous ses disques parus depuis près de 25 ans.

En 1989, quand on a vu cet énergumène pendu par les pieds se démener comme un diable sur les ondes de MusiquePlus, on a eu l'impression de se trouver devant quelque chose de neuf et de grand. Nine Inch Nails n'a plus le même vernis de nouveauté, c'est clair. Mais que ces chansons arrivent encore à vivre au présent sans être embaumées dans la nostalgie, c'est déjà grand.