Mettre la barre haute est un art que Pierre Lapointe ne pratique pas seulement sur disque. En un peu plus de 10 ans de carrière, il a aussi tenté maintes fois de se réinventer sur scène, passant de la formule symphonique au piano solo. Il ne s'est toutefois jamais montré aussi ambitieux qu'avec le concert présenté hier soir au Théâtre Maisonneuve pour souligner la parution de son nouvel album, le coloré, le tourbillonnant et le parfois très émouvant Punkt.

D'abord, Pierre Lapointe a fait le pari d'interpréter son nouveau disque en entier. Puis, il a invité sur scène la quarantaine de musiciens et interprètes qui ont collaboré à ses nouveaux morceaux. Oui, tous, de Jean Derome à Random Recipe en passant par Alex McMahon, Joseph Marchand, Émilie Laforest, un ensemble de cordes, des vents, un choeur et bien sûr ses arrangeurs, Guido del Fabro et Philippe Brault.

L'idée était de reproduire les chansons au plus près de ce qu'elles sont sur disque. Puisque Punkt est un album en montagnes russes où les morceaux dépouillés s'insèrent entre d'autres plus pop et pétaradants ou généreusement orchestrés, cela signifiait que, d'une chanson à l'autre, le décor musical devait changer du tout au tout. Grand jeu. Gros risque.

L'imperfection ne fait pas partie des éléments avec lesquels Pierre Lapointe a l'habitude de jongler.

Or, hier, il a dû s'y résoudre. Nerveux comme on ne l'a pas vu depuis longtemps, il a avalé des vers de Nu devant moi, chanson touchante dont la mélodie est soufflée par des cuivres qui tournoient doucement.

Par trois fois au moins, il a demandé à son orchestre de reprendre des morceaux en raison d'imperfections diverses qu'il a cherché à désarmorcer en se retranchant derrière l'autodérision fendante qu'on lui connaît.

Ce n'était donc pas le meilleur concert de Pierre Lapointe en carrière. C'est dans la nature des choses: c'était un happening. Il cassait ses chansons. Pas étonnant que ça grince et qu'il ait paru plus rigide que d'ordinaire.

Or, ce concert en dents de scie, a aussi connu son lot de moment de force et de beauté.

On pense à la magnifique Nos joies répétitives, sans doute l'un des ses plus grandes chansons à ce jour. À Monsieur, avec Albin de la Simone au piano et la voix extraordinairement douce d'Émilie Laforest. À cette pétillante folie qu'est La sexualité, livrée avec ce qu'il faut de légèreté deuxième degré et de fougue par Pierre Lapointe et ses amis de Random Recipe (et en particulier le chant habité de Frannie Holder).

En voulant mettre en valeur les arrangements étoffés de ses nouvelles chansons, Pierre Lapointe s'est probablement montré trop ambitieux et, du coup, a en partie raté son objectif.

Le jeu en valait néanmoins la chandelle: on ne les entendra sans doute plus jamais en concert sous ces formes généreuses et éclatées. Mais le disque est désormais là. Et il est bon. Très, même.

Les quelques morceaux entendus avant de quitter la salle (heure de tombée oblige) ont donné l'impression que la deuxième partie du concert, consacrée aux chansons anciennes, serait autrement plus maîtrisée. Pierre Lapointe a livré une belle interprétation d'Au 27-100 rue des partances malgré une voix visiblement grippée. Après une curiosité interprétée avec ses amis du duo Forêt (Joseph Marchand et Émilie Laforest), il de nouveau plongé avec aisance dans le matériel de son disque La forêt des mal-aimés (Au nom des cieux galvanisés, L'endomètre rebelle). Ce retour au confort a beaucoup plu dans la salle, remplie jusqu'au deuxième balcon.