Cinquante ans après son premier tour de chant au Gesù, Gilles Vigneault était de retour sur la scène de la petite salle de la rue De Bleury. Le poète n'a pas fait de cérémonie et a abordé ce spectacle comme tous les autres: entré en scène d'un pas alerte, il s'est planté derrière son micro et, après un petit coup d'oeil à son accompagnateur, le pianiste Dan Thouin, a entonné sa première chanson.

Il a commencé par Dans la nuit des mots, tirée de son album Le chant du portageur. Son élan a toutefois été vite brisé par un trou de mémoire. «Dans la nuit des mots, c'est une belle occasion d'en perdre quelques-uns», s'est amusé le chanteur, avant de retrouver le fil de sa chanson. Pas de quoi s'offusquer: ceux qui l'ont déjà vu en spectacle savent qu'il finit toujours par buter sur un vers ou un autre.

Or, mercredi soir, ces trous de mémoire ont semblé plus fréquents que d'ordinaire. La première partie du spectacle a en outre été ponctuée d'interprétations hésitantes de la part du poète qui aura 83 ans à la fin du mois. Son pianiste, constamment à l'affût, s'adaptait heureusement avec célérité aux moindres fluctuations. Avec élégance et souplesse, de surcroît.

Si son âge semble un peu plus difficile à porter qu'au moment du spectacle tiré de son album Au bout du coeur (2003), présenté sur la scène du Corona, Gilles Vigneault demeure d'une verve extraordinaire. Son long Monologue du baril, une anecdote comique sur le temps qui passe, a été savoureux. Et si le répertoire interprété mercredi soir a fait la part belle aux chansons tendres, il n'a pas manqué l'occasion d'égratigner par la bande le Plan Nord du gouvernement Charest. Il a en effet conclu Fer et titane, qui date des années 60, en précisant que l'exploitation des mines profite surtout aux compagnies minières...

Gilles Vigneault a bien sûr profité de ce retour au Gesù pour interpréter quelques-uns de ses grands airs: J'ai pour toi un lac, Quand vous mourrez de nos amours, Gros Pierre, Pendant que et Tout l'monde est malheureux. Il a pris, comme toujours, un plaisir évident à jouer les chefs de choeur lorsque l'assistance l'accompagnait aux refrains.

Après les hésitations du début et plus d'une heure passée sur scène, le poète a chanté avec aplomb un bloc taillé dans les plus grandes chansons de son répertoire: Le temps qu'il fait, Si les bateaux, La Manikoutai et Le nord du nord. Ce qu'on retiendra de ce spectacle, c'est surtout cet extraordinaire deuxième souffle. Et ce constat inévitable: peu de paroliers habitent leur langue avec une telle superbe, un tel amour et une telle générosité.

Jusqu'à samedi au Gesù.