Mais que faisait donc la jeunesse à festoyer impunément un soir de semaine? Elle accueillait à bras ouvert Gregg Gillis, alias Girl Talk, artisan du copier-collé musical, recycleur de riffs et de rimes, inassouvissable machine à party. Le Métropolis était près d'être complet mardi dernier par tous ces danseurs qui se souciaient peu de rentrer travailler ou d'aller à son cours le lendemain matin. Inadmissible!

Rappel des faits reprochés à Girl Talk: depuis 2002, l'ancien étudiant en bio-ingénierie tricote une pop mutante en greffant de multiples échantillons sonores les uns aux autres, selon une tradition héritée des années 70 et développée par Negativland, les Residents, John Oswald ou encore Grandmaster Flash. En somme, chaque époque, chaque nouvel avancement des technologies de l'enregistrement sonore a généré son Docteur Frankenstein de la pop, et Gillis est le nôtre.

Et ça marche comme le truc n'avait jamais autant marché auparavant. D'ailleurs, Girl Talk n'en était pas à ses premières frasques à Montréal: il avait préalablement déjà rempli le Métropolis et sa mémorable performance au Club Soda, dans le cadre du Festival de jazz en 2007, s'était terminée sur le trottoir avec ses haut-parleurs sur les épaules. L'émeute, ou presque, un moment d'anthologie s'il en est un.

Gillis revenait donc à Montréal à la faveur d'un nouvel album, All Day, lancé gratuitement sur le web en novembre dernier sur son label, Illegal Art (où évolue aussi Junk Culture, en toute première partie).

Le disque gratuit, tactique à l'agenda de l'industrie du disque 2.0? Ne cherchons pas si loin: avec ses douze chansons constituées de 372 échantillons sonores empruntés, on voit mal comment le type aurait pu commercialiser un tel album sans avoir une meute d'avocats sur les talons. Même s'il plaide «l'usage raisonnable» de ces sources musicales pour se justifier devant la loi du droit d'auteur, tel qu'il l'exprimait dans deux passionnants documentaires sur le sujet, Good Copy Bad Copy (2007) et RiP!: A Remix Manifesto.

Alors voici le portrait des cent quatre-vingts premières secondes du concert de mardi.

Accueilli à tout rompre, Gillis s'est dressé sur sa table, haranguant la foule. De retour derrière sa console, un premier coup de cymbale, un riff de guitare. On reconnaît War Pigs de Black Sabbath, puis la voix du rappeur Ludacris. Une trentaine de fans envahissent la scène pour danser à ses côtés, alors que les canons à confettis soufflent sur le parterre. Les notes de piano du Runaway de Kanye West résonnent ensuite sur le breakbeat, et Girl Talk y glisse par-dessus la voix de Notorious B.I.G. balançant son succès Juicy. La foule en liesse saute, bras en l'air, les rétines brûlées par la brillance de l'écran LED qui, habilement manipulé, explose de formes et de couleurs vives.

Y'en a eu pour au moins 90 autres minutes comme ça. Du gros fun noir pour mélomanes souffrant de déficit d'attention et de fourmis dans les jambes. Quarante ans de succès passés au malaxeur numérique de Girl Talk, dont le premier flair est de savoir repérer les quelques secondes accrocheuses des chansons qui lui servent de matériau de base. La voix - des a cappella rap, très souvent - sert de mortier à l'érection de son mur du son, alors que le public de cégépiens et de jeunes universitaires sue à grosses gouttes sur le plancher de danse. La recette est éprouvée, mais plus étonnant encore, Girl Talk continue à élargir sa base d'amateurs.

Drolatique Max Tundra

Autre première partie, celle de Max Tundra (de son vrai nom, Ben Jacobs), découvert par Warp à la fin du siècle dernier, récupéré par Domino Records, à qui il a offert trois albums d'une pop électronique frénétique, dérisoire, occasionnellement lumineuse - on garde de vifs souvenirs de son plus récent, Parallax Error Beheads You, lancé en 2008.

Il a annoncé que ce serait son dernier. Et ce concert à Montréal sans doute son ultime tour de piste. Drolatique, mais pas mémorable, alors que le type, son ordinateur, son clavier et ses jouets - flûte à bec, xylophone, guitare électrique - se démenait comme un diable dans l'eau bénite, tout seul sur scène. Il a terminé en chantant (et dansant!) sa version drill&bass du So Long, Farewell de The Sound of Music, sous les applaudissements d'une foule ébahie et amusée.