Le récital auquel nous ont conviés Brad Mehldau et Anne Sofie von Otter aura survolé deux univers distincts que l'Histoire tend à rapprocher: la musique classique de tradition européenne et des expressions modernes traversées par la chanson d'auteur et le jazz contemporain, préconisant une forme plus ouverte, parfois même l'improvisation.

Deux parties distinctes, donc, déployées devant près de 1300 spectateurs présents au Théâtre Maisonneuve, hier.

La première fut absolument classique et d'autant plus sobrement exécutée. Ainsi, la table se dresse avec des musiques scandinaves du Norvégien Edvard Grieg ainsi que des Suédois Wilhem Peterson-Berger et Wilhem Stenhammar. Dans ce contexte, le jeu de Mehldau s'avère retenu, exclusivement au service de la mezzo-soprano. Normal que cette dernière occupe la place proéminente qui lui revient.

Puissance, élégance, volupté sont les épithètes qui viennent en tête à l'écoute de cette grande artiste.

Lorsqu'on passe à Jean Sibelius, la tension dramatique monte d'un cran, ces musiques exigent à von Otter un investissement plus tonique, le piano se fait plus dynamique.

La chanteuse suédoise se retire, le pianiste américain jouera Johannes Brahms. L'interprétation semble solide et appréciée des mélomanes. S'ensuivent les lieders de Brahms entonnés par Von Otter, de retour sur scène l'enjouée Juchhe!, opus 6 no 4, la chaloupée Wir wandelten Opus 96 no2, sans compter Unbewegte laue Luft, opus 96 no 8, qui nous réserve une superbe montée d'intensité en fin de parcours. Pour clore cette première partie, deux chants modernes et soyeux de Richard Strauss, Die Nacht, opus 10 no 3, et Nichts, opus 10 no 2.

Il va sans dire, ne demandez pas au messager une évaluation pointue de cette performance.

La seconde partie sera entièrement consacrée aux musiques originales de Brad Mehldau, soudées aux textes de la grande écrivaine Sara Teasdale - Child Child, Twilight, Because, Dreams, Did You Never Know? Bien que son jeu demeure relativement retenu dans ce contexte d'accompagnement, le pianiste se permet un rapprochement plus clair du langage jazzistique qu'on lui connaît. On comprendra qu'il occupe plus d'espace que dans le volet classique au programme, notamment pour les deux dernières oeuvres de cette série de cinq. Par ailleurs, on aura noté un usage plus prononcé de la technique de chant lyrique sur scène qu'en studio, ce qui est évidemment compréhensible vu l'absence d'amplification.

La dernière séquence du concert nous permettra de goûter enfin un solo bien senti de Brad Mehldau, soit dans le cadre de la Chanson de Maxence, signée Michel Legrand (pour le film Les demoiselles de Rochefort). À la suite de quoi Anne Sofie von Otter confie au public être fan depuis longtemps des soeurs McGarrigle et de Martha Wainwright qui a déjà interprété Dis, quand reviendras-tu?, un classique de Barbara que la Suédoise reprend bellement... sans en faire une relecture mirobolante pour autant.

Au tour de Joni Mitchell d'être honorée par cette grande voix: Michael From Mountains et Marcie que von Otter interprétera après avoir chanté en suédois sur les musiques les plus jazzy de la soirée, gracieuseté de Lars Färnlöf et Fred A Mahler. Musiques via lesquelles Mehldau se permettra des improvisations encore plus probantes.

Pour clore la soirée, le choix de Some Other Time est évocateur de cette démarche que partagent Brad Mehldau et Anne Sofie von Otter. Le compositeur de cette grande chanson, Leonard Berstein, n'a-t-il pas été un lien essentiel entre musiques classiques et musiques dites populaires de grande qualité? Un lien, aurons-nous noté, qui demande encore bien des efforts pour parvenir à sa quintessence.

En prime, le tandem interprétera une version équilibrée de Blackbird, chanson des Beatles si souvent reprise par les musiciens de jazz. On bouclera la boucle avec Something Good, un air tiré du film The Sound of Music. Une bonne chose en soi...