Cela a dû arriver il y a 40, 30, 20 ans quand Laurie Anderson, ou Anne Clark, ou Tori Amos, ou Lauryn Hill ont donné leur tout premier spectacle: les spectateurs présents ont dû savoir, sentir, comprendre qu'ils voyaient là une artiste, point à la ligne. C'est en tout cas le sentiment qu'ont eu hier, au Théâtre de Quat'Sous, ceux qui ont vu le premier spectacle de Clara Furey chanteuse.

Bien sûr, on pourrait résumer cela en disant que c'est la digne fille de Carole Laure et Lewis Furey et qu'on la savait déjà capable de danser et de jouer. Mais ça serait faire injure à la brèche intime très particulière qui pousse Clara Furey dans la lumière pendant 75 minutes intenses: un étrange mélange de douleur, de grâce, de lumière, de «physicalité», de poésie, d'impudeur, de fragilité, de quasi-virilité, d'érotisme, de rage...

Auteure, compositrice, mais aussi interprète dans tous les sens du terme, Clara Furey a chanté une douzaine de ses chansons en anglais en s'accompagnant généralement au piano, auxquelles s'ajoutaient des chansons de son frère Tomas (venu l'accompagner sur quelques morceaux, lui aussi au piano), d'Owen Chapman (le talentueux multi-instrumentiste et coarrangeur des chansons), mais aussi de Metric et d'Uffie (respectivement Poster Of A Girl et Pop The Glock, sans oublier deux morceaux en français: Mon rêve familier de Verlaine mis en musique par Ferré et Dis, quand reviendras-tu de Barbara.

Chanson théâtrale

Comment dire? Cela tombait presque sous le sens que ce spectacle soit présenté là où Robert Lepage, il y a quasi 30 ans, interprétait Circulations, sa toute première pièce. Clara Furey fait dans la chanson théâtrale, avec une tension dramatique, des décors sonores et visuels, de superbes projections sur grand écran pertinentes, une mise en scène véritable pour chacun des morceaux. Vêtue d'un «habit de lumière», celui des toréadors, la jeune femme de 27 ans est tour à tour mâle alpha et femme, maître et servante, torero et animal sacrifié...

Ce n'est pas exactement grand public. Et ce n'est pas sans défaut: un peu plus de simplicité, une touche d'humour, un peu de place pour que les spectateurs puissent tout simplement applaudir, plus de chansons en français, tout cela ne serait pas inutile.

Mais il y a là une artiste, c'est indéniable. Qu'elle chante la beauté d'une femme en compagnie de la comédienne Bénédicte Décary ou le désir avec la choriste Jasmine Bee Jee, qu'elle joue de dos au piano ou qu'elle se plante sur scène, qu'elle fasse jouer un peu de Laurie Anderson ou qu'elle danse à l'écran, qu'elle martèle ses propres textes (on peut se procurer au Quat'Sous un mini-album de cinq de ses chansons pour 5 $) ou qu'elle chante a capella Barbara en fumant une cigarette, c'est une artiste. C'en est presque effrayant...

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Clara Furey, au Théâtre de Quat'Sous, jusqu'à lundi, 20 h.