Après la musique des Beatles avec Love, c'est celle d'Elvis Presley que le Cirque du Soleil a transformé en spectacle à Las Vegas. La première mondiale de Viva Elvis avait lieu vendredi au théâtre Aria et nous a permis de constater une chose: Elvis est toujours vivant et vit même au 21e siècle, dans un spectacle haut en couleurs, en décibels et en contorsions! Audace, musique et acrobaties ont permis de relever le défi, même si quelques-uns des 22 tableaux qui composent cette septième production du Cirque du Soleil à Vegas n'atteignent pas tout à fait l'objectif.

Le Cirque du Soleil et ses nombreux invités ont bien craint le pire un instant: deux minutes après le lever du rideau de Viva Elvis, il a fallu interrompre la représentation, rallumer les lumières dans la salle pour des raisons techniques... et finalement reprendre, une dizaine de minutes plus tard, là où on avait laissé. Tant mieux car nous aurions manqué un très bon spectacle, audacieux, qui dépoussière sérieusement Elvis.

D'abord par la musique. Le travail du directeur musical et arrangeur Erich Van Tourneau est exceptionnel. Articulant son travail autour de la voix d'Elvis (seule voix masculine du spectacle, quatre chanteuses interprétant par ailleurs certaines des chansons), il a brassé le répertoire à l'aide d'échantillonnages bien conçus, mais aussi de huit excellents musiciens vraiment rock, qui occupent beaucoup de place à l'avant-scène (mention particulière au batteur et au percussionniste, tous deux hallucinants). C'est particulièrement vrai dans les numéros « up tempo », rythmés : c'était un pur plaisir d'entendre du Presley doté de couleurs reggaeton, quasi rap, brésiliennes, tango - et toujours profondément rock. Certains numéros, axés principalement sur la musique avec projection de montages d'images d'Elvis, ont reçu des applaudissements bien mérités: Burning Love et King Creole (en calypso reggae!), notamment, ont emporté la mise haut la main. Et les musiciens eux-mêmes ont reçu une chaleureuse ovation à la fin du spectacle.

Ce sont aussi les chansons rythmées qui donnent lieu à des acrobaties fascinantes, mêlées d'humour, dans des décors colossaux: Got A Lot of Livin' To Do devient un numéro de trampoline impressionnant et jouissif par de faux «superhéros» hauts en couleur; Return to Sender est transformée en acrobaties sur barres dans un gigantesque camp d'entraînement militaire, avec cadence hip hop extrêmement énergique, dans un cadre à la fois viril et rigolo (les étoiles du drapeau américain sont devenues des culottes boxer et des «combines à grand jambe»!) ; un pot-pourri d'airs plus country permet d'étonnantes prouesses au lasso, y compris des lassos en feu; Jailhouse Rock devient un numéro de marche inversée étonnant dans une structure de métal de 40 pieds de haut... Quant à Suspicious Minds, dans une version très vigoureuse, disons que le numéro de main à main à haut risque se mariait parfaitement aux riffs de guitare électrique et aux cuivres explosifs.

En fait, là où le bât blesse un peu, c'est dans les numéros construits autour des ballades, qui n'ont pas encore trouvé leur équilibre. Parfois, cela donne quelque chose de mièvre et statique (Love Me Tender), d'un peu « ch'nu » et étriqué (Are You Lonesome Tonight), de quasi quétaine (Can't Help Falling in Love With You avec un danseur de ballet)... L'absence d'acrobaties à couper le souffle et le tempo plus lent, la présence de chanteuses parfois moins convaincantes que la seule voix d'Elvis (qui fait toujours des merveilles), des danseurs certes doués mais qui semblent bien petits dans le décor pour retenir seuls l'attention, tout cela n'aident pas les morceaux plus doux. On dirait que l'intimité n'a pas encore trouvé ses marques sur cette vaste scène.

C'est également le spectacle le plus «oral» du Cirque: on y entend la voix d'Elvis raconter certaines choses et on y voit un comédien interpréter le Colonel Parker, le gérant de Presley. À l'aide d'anecdotes sur la vie et de souvenirs du King, c'est lui qui vient donner des explications sur certains des éléments utilisés dans les numéros (le frère jumeau d'Elvis mort, l'amour de la BD et des films, etc.)... Mais la présence de ce Colonel n'est pas encore fluide, pour le moment, et si on comprend à quoi elle sert - tout le monde ne connaît pas les grandes lignes de la vie d'Elvis, particulièrement dans les plus jeunes générations -, elle vient tout de même casser parfois le rythme.

En conclusion, les fans purs et durs du King, ceux qui aiment leur Elvis classique et tel quel, seront sans doute moins réceptifs à la proposition du Cirque. Mais tous les autres devraient y trouver leur compte. Notamment dans les numéros finaux, où on assiste à une orgie d'Elvis bigarrés (jusqu'à une quarantaine d'Elvis, en «jumpsuit» de toutes les couleurs) sur les airs de Viva Las Vegas, Suspicious Minds et Hound Dogs (pendant lequel 150 foulards rouges tombent du plafond sur les spectateurs ravis). Tout cela mené à train d'enfer.

Bref, de même que (ic)Love(xc) nous a rappelé que les Beatles étaient avant tout quatre jeunes amis, bien avant de devenir des vedettes, Viva Elvis rend hommage à un Presley fou de rythme et de plaisir, drôle et charmant, capable de chambouler les codes établis et de transformer la musique, bien avant d'être réduit à l'image d'une superstar en jumpsuit blanc qui jouait dans des films poches. Bref, Elvis est vivant et ne devrait pas quitter l'édifice avant un bout de temps.

Viva Elvis, présenté par le Cirque du Soleil au Elvis Theater de l'hôtel Aria, à Las Vegas, deux représentations par soir, à 19h et à 21h30.