Les spectateurs, les serveurs, les bouteilles et même les pourboires essayaient de ne pas faire de bruit pour mieux entendre Pierre Lapointe seul au piano à queue (hier) vendredi, à compter de minuit, au Lion d'or, dans le cadre de Coup de coeur francophone. Moments de grâce et sérieux fous rires se sont succédé pendant une heure et demie de Lapointe solo piano, au coeur de la nuit...

Tout comme Aznavour retrouvant les Plaisirs démodés du slow, Pierre Lapointe, lui, a renoué avec les Plaisirs dénudés au cours de cette première de quatre représentations au Lion d'or (il y sera en supplémentaire le 8, à 20h30, de même que les 13 et 14 novembre à minuit).

Il retrouvait le plaisir d'interpréter ses chansons quasi comme elles avaient été écrites et composées il y a parfois 10 ans, avec un piano et une voix, une mélodie et des mots, voilà tout. Comme à ses débuts, il flirtait avec l'intimité, avec la proximité qui se crée dans une petite salle, avec la familiarité qui naît de la nuit, de l'heure indue... En vingt chansons - et plein d'apartés aux spectateurs, mais pas trop, juste assez - il a en quelque sorte recréé l'atmosphère qui régnait sans doute dans les cabarets de la Rive Gauche, quand Barbara s'y produisait il y a quelques décennies - Barbara que Lapointe a beaucoup écoutée et cela s'entendait si joliment hier, pendant Le magnétisme des amants ou Pointant le Nord...

Sans orchestre, sans concept, sans danseurs, sans décor (hormis quelques lampes des années 70), ce spectacle Solo piano est en quelque sorte le contraire du spectacle à grand déploiement qu'était Mutantès - et pourtant il procède du même principe: prendre le risque. Et avoir raison de le faire.

Dans le cas de Solo piano, il y avait bien sûr le risque de se tromper de note, de chercher les paroles, d'avoir un véritable fou rire au point de ne pouvoir commencer une chanson - tout cela est arrivé, vendredi (hier) soir, et encore plus! Or, c'était justement ce qui était extraordinaire, ce qui justifiait un tel risque: d'une part, on mesurait le talent de ce gars comme auteur, comme mélodiste, comme instrumentiste (car c'est un vrai pianiste, à la touche très personnelle) et comme interprète (c'est fou comme sa voix couvre un registre de plus en plus large, comme elle est de plus en plus solide); d'autre part, on faisait connaissance avec un autre Lapointe, on rencontrait Pierre en quelque sorte. Un Pierre naturel, vulnérable, doué, moins cabotin, moins comédien et très, très rieur. Par exemple quand il a repris La reine Émilie qu'il n'avait pas jouée depuis longtemps, ou quand il a justifié en long et en large l'époque où il dédiait Petite fille laide à une chanteuse qu'il n'aimait pas «et qui est maintenant devenue une amie - je vieillis!», ou quand il a chanté La boutique fantastique, une de ses premières chansons où un candidat à l'emploi se présente en demandant: «cherchez-vous toujours quelqu'un pour vomir sur les clients»...

Car Pierre Lapointe a profité de l'occasion pour faire découvrir ou redécouvrir ses chansons - dont certaines ne figurant que sur le CD-maquette lancé à quelques centaines d'exemplaires en 2002 - à un public attentif et absolument de tout âge, qui n'avait quasi jamais entendu ses morceaux aussi dévêtus, épurés, sans artifice. Bref, le répertoire de Lapointe dans le plus simple appareil. Que ce soit 27-100, rue des Partances ou Pointant le Nord, Nous restions là ou Maman, Plaisirs dénudés ou À ta place (tirée du mini-album Les vertiges d'en-haut), toutes les chansons avaient leur touche personnelle, leur petit je-ne-sais-quoi bien à elles, en elles-mêmes. C'était vrai aussi pour Sentiments humains (qu'il a dû recommencer trois, quatre fois avant de pouvoir la chanter, à la toute fin du spectacle - et avec l'aide des spectateurs), c'était vrai également de Moi Elsie, très beau texte de Richard Desjardins qu'il a mis en musique pour Elisapie Isaac et que Pierre Lapointe chantait pour la première fois «devant quelqu'un», vendredi soir.

Ce «quelqu'un», c'était toute une salle remplie de spectateurs qui n'en revenaient pas de leur chance, qui soupiraient de bonheur et souriaient sans s'en rendre compte, des spectateurs qui ont chanté à pleine voix avec Lapointe au rappel, quand il a fait 2 par 2 rassemblés dans une version lente et mélodieuse, puis Nous n'irons pas. Nous n'irons peut-être pas cueillir la fleur au fond des bois - en tout cas, pas à 1h30 du matin. Mais si on trouve des billets, nous irons revoir Pierre Lapointe au Lion d'or.

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Pierre Lapointe solo piano, au Lion d'or, le 8 novembre, 20 h 30 et les 13 et 14 novembre, à minuit.