Jay Jay Johanson carbure à la mélancolie. Au romantisme exacerbé. À l'espoir de garder sa belle, de la conquérir ou de la retrouver. À la rupture des êtres qui se sont aimés. Aux mensonges qui s'échangent lorsque l'amour se dissout ou disparaît définitivement. Au fatalisme relationnel. Aussi, à cette fragilité que dévoilent encore peu de mâles en ce bas monde.

Monsieur Spleen, qui plus est, a eu l'excellente idée d'emballer ses airs pluvieux d'environnements électroniques auxquels il juxtapose des arrangements de facture pop classique. Voilà qui démarque le chanteur suédois de tous les crooners. C'est ainsi depuis 1996. Jusqu'à quand au juste?

Cela semble se poursuivre de plus belle, force est de constater au lendemain de son escale montréalaise dans cette salle réaménagée de l'eXcentris (la Cassavetes) pour sa nouvelle vocation musicale et dont c'était mercredi la toute première représentation - qui, en guise d'apéritif, comprenait une courte intervention de Numéro#, tandem techno-pop très années 80, échoué quelque part entre Soft Cell et Indochine...

La nouvelle salle est disposée en trois paliers, dont les «étages» supérieurs sont clôturés sur le devant et sur les côtés - sécurité oblige. Mercredi soir, on y avait retiré tous les sièges et... on pouvait déjà constater les limites de la visibilité dans cette configuration. Si vous n'êtes pas entassés au parterre, vous avez intérêt à vous précipiter à l'avant des paliers supérieurs pour y apercevoir le moindrement ce qui se passe sur scène - ou ce qui ne se passe pas, dans le cas qui nous occupe. Pour le son, cependant, rien à redire: les équipements sont exemplaires, à la fine pointe de ce qu'offre le showbiz en 2009.

Ajoutons que l'écran de cinéma de cette salle hi-tech est mis à contribution. Tout au long de cette plus que vingtaine de chansons de Monsieur Spleen, des plans fixes de visages humains (généralement sans expression, question de donner un certain «relief» au répertoire) accompagnent le crooner atypique accompagné d'un pianiste (acoustique et électrique) et de séquences préenregistrées. Hormis les bidouillages électros, les cordes symphoniques et autres vibraphones, enfin tous les éléments traditionnels des arrangements émergent d'un disque dur, à l'exception des claviers actionnés par le jazzman scandinave sous sédatif pour les besoins du répertoire.

Usant surtout des hautes fréquences de sa voix de tête (tel un contre-ténor mais sans la puissance d'un chanteur digne d'appartenir à cette catégorie), Jay Jay Johanson n'a pas le physique de l'emploi... et c'est peut-être pourquoi il plaît tant à ce public indie qui, de prime abord, n'a strictement rien à voir avec Nature Boy de feu Nat King Cole.

Barbe, queue de cheval, chemise sobre, petite veste. Immobilisme devant le micro, discrétion apparente, virilité très Nouvel Âge.... Il faut gratter, creuser, piocher pour y débusquer quelque sex-appeal. Oui oui, on l'imagine se précipiter lorsque sa douce lui demande de sortir les poubelles...

Notre chic néo-hippie, en tout cas, semble satisfaire pleinement son auditoire constitué de fidèles supporters et... de nombreux invités à l'inauguration de cette salle reconvertie par Daniel Langlois - présent à l'événement. Johanson nous servira plus ou moins la même mélodie, plus ou moins les mêmes progressions harmoniques (full accords mineurs, bien sûr), plateformes propices à un registre émotionnel on ne peut plus restreint. Exprimer le spleen, on en convient, est noble. Légitime. Très beau matériau de l'expression artistique, à n'en point douter. N'exprimer que le spleen et ses variantes sur la durée de sept albums studio? Bonjour la dépression.

Qu'on ne s'y méprenne, Jay Jay a créé de belles chansons: Alone Again, She Doesn't Live Here Anymore, On the Radio, Believe In Us... Self-Portrait, lancé l'an dernier, ne change pas de cap, en témoignent les Wonder Wonders, Lightning Strikes, Liar, My Mother's Grave ou Broken Nose, prévues au programme de mercredi.

Joli répertoire, certes. Mais quel ennui aux frontières de l'anémie!