Puisque la question vous turlupine, permettez qu'on y réponde sans tarder: oui, le chanteur Dave Gahan avait la forme, et même la voix qui allait avec, sombre et d'une force qu'il n'avait certainement pas lors de sa dernière visite à Montréal. Cela dit, même avec un chanteur (apparemment) remis de ses bobos, même armé d'un enviable répertoire de succès marquants, Depeche Mode ne s'impose plus aujourd'hui comme un incontournable des scènes du monde, force est de constater à la lumière du concert que le groupe britannique a livré hier soir, au Centre Bell.

Ce n'est pas d'hier que les fans de Depeche Mode s'inquiètent de la santé de son chanteur Gahan. Il y a quelques mois, une opération pour lui retirer une tumeur cancéreuse avait nécessité l'annulation de concerts. Puis, à la suite d'une blessure à la jambe que Gahan avait subie à Bilboa le 9 juillet, Depeche Mode avait annulé les deux derniers concerts du volet européen de son Tour of the Universe.

Ainsi, ce sont près de 12 500 fans, rassurés et particulièrement énergiques, qui ont accueilli leurs héros new wave hier soir au Centre Bell. L'ambiance était explosive, alimentée par une agréable performance de Peter, Björn & John livrée en première portion de la soirée.

Depeche Mode a ouvert son spectacle avec retenue, offrant d'abord trois titres de son plus récent  - et honorable- album, Sounds of the Universe, les In Chains, Wrong et Hole To Feed, qui prouvent que le groupe est encore capable de pondre de bonnes mélodies.

Martin Gore, Andrew Fletcher et leurs accompagnateurs ont d'abord pris leur place sur scène, suivis par Gahan qui, les bras en l'air, se laissait griser par les cris assourdissants des trentenaires et quadragénaires nostalgiques de leur adolescence. Le groupe a reçu cet accueil de star que les Montréalais savent si bien servir à leurs idoles.

Puis, les premières notes. Le son était puissant, très bien calibré dans le vaste amphithéâtre, et Gahan, qui n'a jamais été une bête de scène, chante de tendre et vulnérable manière, offrant ses suaves déhanchements qui attisent les cris de la foule. À ses côtés, un Martin Gore magnétique, guitare au cou, donne autant à voir aux fans qui, eux, attendent les hits.

Le premier arrivera après quinze minutes d'attente: Walking in my Shoes, que les fans ont reconnu dès les premières notes de piano. Bras en l'air, Gahan peut reposer ses cordes vocales: la foule connait les paroles par coeur et ne se prie pas pour le faire savoir.

Ce succès permet enfin au groupe d'exploiter le potentiel technologique de sa scénographie. Les cinq musiciens sont disposés devant un vaste rideau de lumières LED formant un immense écran vidéo; en haut, au centre, une demi-sphère de ces lumières. Pendant Walking in my Shoes, la sphère devient un oeil qui regarde nerveusement les musiciens, alors que l'écran dépeint un paysage désertique habité par un seul corbeau.

Hormis ce tableau, la scénographie s'est avérée peu inventive, une véritable déception. Nous aurons ensuite droit à une succession de clichés et d'images sans grand intérêt – pendant Enjoy the Silence, par exemple, l'écran ne sert qu'à nous montrer les trois musiciens originaux vêtus de combinaisons spatiales qui nous regardent stoïquement sans parler, sans bouger... Gaspillage!

Or, les chansons seules auraient pu suffire à faire sauter le plafond du Centre Bell. Pourtant, il aura fallu attendre la dernière portion du spectacle pour que l'amphithéâtre devienne le plancher de danse espéré. Après «l'entracte» - les fans sont carrément allés se chercher une bière pendant que Martin Gore chantait les ballades Little Soul et Home -, les succès ont enfin déboulé: Policy of Truth, In Your Room, I Feel You, Enjoy the Silence et l'épique Never Let Me Down à la tombée du rideau. Deux généreux rappels ont suivi: Stripped, Master and Servant, Strangelove, puis Personal Jesus et la belle Waiting For The Night.

Durant cette dernière, Gore et Gahan se sont avancés sur la passerelle pour s'approcher des fans. La passerelle, qui séparait en deux le parterre, servait pour la première fois de la soirée. J'ai compté: à deux occasions précédentes, Gahan s'y est risqué pour quelques secondes, sans micro. À quoi bon mettre une passerelle, alors?

Depeche Mode est sans doute le plus grand jukebox de l'ère new wave, et c'est avec un plaisir renouvelé que les fans assistent à leurs spectacles. Les musiciens, eux, ne sont pas les plus dynamiques des performeurs, ce qui rend encore plus important la scénographie, laquelle n'était pas hier à la mesure de la notoriété du groupe. Peut-on leur recommander de travailler avec les Montréalais de Moment Factory, qui avaient fait des miracles sur l'avant-dernière tournée de Nine Inch Nails? Gore, Gahan, Fletcher et leurs fans le méritent.