Soir de première douillette pour les auteurs-compositeurs-interprètes Ian Kelly et Anastasia Friedman, qui se produisaient vendredi soir dernier dans un Gesù rempli presque à capacité de spectateurs qu'on aurait cru conquis d'avance.

La chose n'est pas nouvelle en soi, mais elle mérite d'être soulignée. Audiogram, qui se passe de présentation, a déjà flirté avec la pop anglophone en produisant les Go Van Gogh (c'était en 1993), Ray Bonneville, Adam Chaki, Carl Bastien et, bien sûr, Bran Van 3000. Mais depuis quelques mois, la maison montréalaise a manifesté un intérêt renouvelé et remarquable pour les musiciens d'ici qui s'expriment en anglais, avec l'espoir, on devine, de les faire rayonner hors de nos frontières.

 

Ainsi, la déferlante: Ian Kelly, dont l'album Speak Your Mind a été lancé l'été dernier, The Sound of Sea Animals l'automne dernier, Anastasia Friedman et son Full Circle fraîchement arrivé, et le premier disque de Clément Jacques qui devrait atterrir bientôt.

Avec Ian Kelly et Anastasia Friedman, qui nous a présenté cinq chansons en première partie, Audiogram ne risque pas d'extraire l'auditeur de son petit confort. Folk-pop chaleureuse, amenée par deux jolies voix déjà matures, on cherche moins les idées musicales nouvelles que celles dont on est sûr qu'elles font déjà vibrer l'âme sentimentale du mélomane lambda.

Sur disque comme sur scène, c'est Ian Kelly qui rassure le plus (le mieux?). Le gaillard a une belle âme, ses chansons sont pleines de bons sentiments, ses interprétations le sont tout autant.

Il était nerveux, ne cessait-il de nous confier dans ce théâtre intime qui prête tout naturellement aux confidences. À notre tour de nous confier: si Kelly tient tant à nous faire la causette, qu'il trouve quelque chose à dire de plus que ce que nous pouvons voir nous-mêmes, c'est-à-dire qu'il accorde sa guitare ou qu'il y a des projections (bien faites, au demeurant) qui défilent derrière lui.

Pourtant, lorsqu'il chantait, la nervosité n'y paraissait pas du tout. Kelly a du souffle, il habite ses chansons d'une manière si forte qu'il réussit presque à nous faire oublier la faiblesse de plusieurs de ses compositions, lesquelles peuvent dangereusement rappeler James Blunt.

Dans le meilleur de ce qu'il a à nous offrir - et notez que son album Speak Your Mind, finement réalisé, a quelques vraies bonnes chansons -, Kelly maintient l'équilibre idéal entre une folk bien enracinée et la pop grand public. Aux deux tiers de la performance, l'enfilade des Wiser Man, Fake World et Brown a témoigné de la valeur du musicien, alors que la rageuse et intense Wonderful Human offerte plus tôt devrait être le phare de toute la performance qui s'égare entre les chansons peu inspirées et les commentaires qui les entrecoupent.

À ses côtés, deux bons musiciens, Didace Grondin-Brouillette (guitare/lap guitar/percussions) et Jon Day (piano, Wurlitzer et voix), tissent des arrangements modestes mais diablement efficaces. Reste encore du travail à abattre, beaucoup d'élagage pour départager les bonnes chansons des moins bonnes, mais on devine qu'avec l'expérience Kelly aura bientôt beaucoup mieux à offrir.

Quant à Anastasia Friedman, cinq chansons sur scène, c'est un peu court pour se faire une idée juste, d'autant plus que les deux premières interprétations nous ont paru désincarnées. Mettons ça sur le compte de la nervosité. Avec I Don't Know Why, l'une des meilleures chansons de son album Full Circle, la chanteuse nous a enfin laissés entrer dans sa bulle, elle aussi très pop, et forcément plus folk parce qu'accompagnée d'un musicien et d'une choriste. À l'image de Kelly, cependant, elle nous a aussi semblé bien sage, dans ses choix musicaux comme dans ses interprétations.