C'était hier la troisième escale montréalaise de Feist depuis la sortie de son album The Reminder au printemps 2007. On imagine les conséquences du mégatube 1234, propulsé par Apple comme on le sait, sur les ventes de disques et de billets pour la chanteuse canadienne. Pour être précis, près de 6000 places avaient été achetées hier au Théâtre du Centre Bell, question de faire durer le plaisir.

Question à 100 piastres: Feist a-t-elle a le charisme nécessaire aux grandes célébrations d'aréna? Au bout d'une vingtaine de chansons, on peut aisément observer qu'elle est en voie d'acquérir cette autorité... sans diluer la singularité de ses propositions... et sans être encore arrivée à ses fins.

 

La soirée s'est amorcée derrière un écran chinois alors que Leslie Feist créait en direct une polyphonie vocale, superposant les boucles enregistrées sur place, une technique reprise par tant d'artistes dont la brillante Juana Molina dont on faisait jouer la musique à l'entracte. Excellent prétexte pour interpréter Help Is On Its Way de la formation australienne Little River Band.

Des gouttes d'eau géantes circulent lentement sur l'écran géant pendant que la chanteuse canadienne interprète So Sorry. Des cristaux de synthèse se forment sur l'image, apparaissent des images bucoliques derrière la soliste pendant qu'on lui balance des plumes sur la tête et qu'elle entonne une version subtilement arrangée de Mushaboom.

Des feux d'artifice inondent ensuite l'écran, la variable rock s'amène dans l'équation Feist, on observe que cette version de Feel It All s'avère clairement plus musclée que l'enregistrement originel, l'objectif étant de faire grimper l'auditoire du Centre Bell.

Les fans se montrent alors prêts pour... une power ballade plaquée de puissants accords de claviers: plutôt soul de facture, Limit To Your Love met à l'épreuve l'organe vocal de Leslie Feist, un défi qu'elle relève avec succès. Très joli grain de voix, la puissance nécessaire à une telle scène et un tel amphithéâtre, mais encore... on ne peut conclure à l'autorité nécessaire aux grandes soirées fédératrices.

La longue introduction de When I Was A Young Girl, classique de Nina Simone, préfigure une version assez rude de ce standard associé au jazz. De nouveau, Feist nous balance des surimpressions de voix enregistrée ici et maintenant, c'est l'heure de Honey Honey. L'écran géant devient alors un terrain de jeu propice à l'art contemporain, la chanteuse enchaîne improvisations guitaristiques et vocales. Seule à la guitare, elle interprète Sunset, une chanson qui n'a pas été endisquée, suivie d'Intuition, de facture country folk.

Retour au rock avec une lecture très costaude de My Moon My Man derrière laquelle un film noir et blanc illustre le mouvement dynamique de marteaux du piano - ce qui n'est pas sans rappeler le concept de Pianovision de son ami et réalisateur Gonzales. Dans le même esprit, la version vitaminée de Past In Présent soulève la foule jusque-là attentive mais loin d'être survoltée. Même effet généré par Phantoms, une autre petite nouvelle.

On tape des mains allègrement pour la version plutôt jazzy de Gatekeeper, avec ligne de trompette à l'appui. Longue introduction aux claviers pour How My Heart Behaves, un coeur se met à battre dans la silhouette géante de la chanteuse, reproduite en toile de fond.

Puis c'est 1234, accueillie chaleureusement malgré sa transformation en hymne à la gloire des bidules Apple. Derrière le band et sa chanteuse, des confettis agrandis au microscope sur l'écran précèdent une lecture très dynamique de Sea Lion Woman, avec toute la ferveur des grands élans gospel. Et soudain, les confettis deviennent réalité, émerveillent le public.

Le rappel s'ouvre dans l'eau: Water, très sentimentale et apparemment très aimée de ses fans, est jouée derrière un écran chinois, question de boucler la boucle avec le début du spectacle. Secret Heart, le second rappel, est une reprise de Ron Sexmith, servie façon country folk avec condiments alternatifs. Let It Die, totalement réarrangée par rapport à la version d'origine, nous prépare à aller au dodo. On voit enfin défiler les crédits sur l'écran, le générique pastiche les films d'antan.

En somme? Feist n'est peut-être pas encore en mesure d'incendier les arénas, mais on peut dire, à n'en point douter, que cette artiste a du goût. Un goût certain qui ne cesse de gagner du terrain.