Comment bouder son plaisir devant une formation de cette trempe? Assurément, il faut faire preuve de mauvaise foi. D'accord, on ne se roulait pas par terre au sortir du Gesù. Non, ce concert donné jeudi soir ne passera probablement pas à l'histoire, mais... il aura certes donné l'occasion aux jazzophiles de voir et entendre évoluer quatre jazzmen de l'élite planétaire. Individuellement et collectivement.

Voyez le personnel : David Virelles, piano, Eric Harland, batterie, Larry Grenadier, contrebasse, trois pointures sous la gouverne de Chris Potter, saxophoniste (ténor,soprano) et clarinettiste (basse), supravirtuose venu défendre sa matière neuve, soit l'album de The Sirens qui vient de paraître sous étiquette ECM.

Pour l'enregistrement de cet opus, David Virelles a joué les seconds claviers (...), soit derrière le très brillant Craig Taborn, absent de cette tournée;  confiné au célesta, à l'harmonium et au piano préparé. Or, sur scène, le musicien cubain officiait en tant que pianiste principal. Les jazzophiles qui n'en connaissent pas encore l'identité ont pu ainsi apprécier cette carte cachée alors que d'autres en avaient déjà découvert le grand talent sur les scènes montréalaises - que Virelles a déjà fréquentées alors qu'il vivait à Toronto avant de transiter vers New York où il s'impose désormais parmi les forces émergentes du jazz top niveau. Son style incisif, percussif, rapide, hautement virtuose, est fort différent de celui de Craig Taborn mais il est permis de croire qu'il aura tôt fait de prendre sa place au sein de ce quartette en construction.

Quant à la section rythmique de ce quartette, difficile de demander mieux. Eric Harland n'est-il pas actuellement l'un des plus remarquables batteurs du jazz ?  Voilà un interlocuteur de choix pour faire discourir Larry Grenadier autrement de ce qu'on entend de lui chez Brad Mehldau. Pour que les impros individuelles de Chris Potter puissent décoller très haut, une telle impulsion est on ne peut mieux indiquée.

Parmi les pièces au programme, on aura noté entre autres Wine Dark Sea, Wayfinder, Nausikaa, Five Points (inédite), Kalypso, pour la plupart à haut coefficient de difficulté. Compositions signées Chris Potter (sauf Monk au rappel), certes difficiles à interpréter, mais... qui ne bouleversent aucunement le vocabulaire jazzistique connu jusqu'à ce jour.

Comme prévu, ces quatre musiciens ont surtout brillé pour leur capacité à transcender des compositions dont on devine les structures, les thèmes, les recoins. Ça, on l'observe depuis les débuts de Chris Potter en tant que leader.